Aveugle de naissance, Moncef Genoud a toujours eu une remarquable mémoire auditive qui lui permet d’apprendre et de rejouer n’importe quelle pièce par cœur. Tout naturellement, il a fait de son talent et de sa passion pour la musique une force en devenant pianiste de jazz professionnel et professeur de musique.
Les débuts
À 6 ans, Moncef commence à suivre des cours de piano, fortement encouragé par son père adoptif, grand fan de jazz. Il apprend facilement à jouer de cet instrument qu’il trouve très tactile. Il n’a pas besoin de voir pour progresser : « Rubinstein ne regardait jamais ses mains quand il jouait. Il y a eu beaucoup de pianistes aveugles pour qui ce n’était pas un problème de ne pas voir », explique-t-il.
Sa première professeure de piano à l’Institut pour aveugle est très scolaire et un peu rigide : « J’arrivais toujours à la faire rigoler un peu en lui jouant des improvisations, hors des sentiers battus ! »
Par la suite, il rencontre d’autres enseignants de piano, plus ouverts à la musique qu’il apprécie : le jazz.
Moncef est doté d’une remarquable mémoire auditive qui lui permet d’apprendre et de rejouer n’importe quelle pièce par cœur. Il se passionne rapidement pour la musique improvisée et instinctive qui lui permet de développer son propre style. « La musique est ma vie. Si elle n’était pas là, mon quotidien serait difficile. Si je ne fais pas de musique pendant une journée, ça m’embête », s’exclame le musicien.
Moncef s’impose rapidement comme un artiste de jazz suisse de premier plan, notamment grâce aux prestations qu’il réalise avec son Trio. Durant sa carrière, il joue avec Bob Berg, Alvin Queen, Reggie Johnson, Harold Danko, John Stubblefield, Joe LaBarbera, Mickael Brecker et Larry Grenadier, parmi tant d’autres.
Être aveugle est une force !
Le musicien a développé une oreille performante : « Cette qualité auditive aide beaucoup pour la musique. » De plus, le fait de ne pas voir empêche les distractions possibles liées à la vue : « Si vous avez décidé de travailler sur quelque chose et que vous ne voyez pas, vous faites l’activité que vous souhaitez faire sans regarder le petit oiseau qui passe par la fenêtre, par exemple. Donc en cela, je dirais que la cécité est un avantage. Elle aide à la concentration et au fait de réaliser qu’une seule chose à la fois. »
Composition
Moncef consacre beaucoup de temps à composer de la musique.
Je m\’assois au piano, joue ce qui me passe par la tête et d\’un coup, un air émerge que je structure. Souvent, je fais appel à un de mes amis musiciens. Je lui dicte cette composition. Il la met au propre et elle devient une partition jouable.
Je suis influencé, par des pianistes, trompettistes et saxophoniste, comme Brad Mehldau, Oscar Peterson ou Chick Corea, ainsi que par différents styles de musiques, la pop, le jazz et la musique classique.
Le bruit et le silence
J’adore écouter les oiseaux, mais je déteste le bruit en général, surtout celui de la ville. J\’aime le silence qu’offre la nature. C\’est pour ça que je vis en Valais. Je me balade souvent dans la forêt, c\’est très calme, j’entends les oiseaux, le vent dans les arbres et parfois aussi le silence. Il représente le calme, la réflexion, le fait d\’être face à soi-même et me permet de penser à beaucoup de choses.
Son parcours
C’est compliqué de concilier le métier de musicien professionnel, d’enseignant et la vie de famille. Cela m’a coûté un divorce et quelques ennuis avec mes directeurs en tant qu’enseignant quand je posais des congés à la dernière minute.
Maintenant que je suis à la retraite, c’est plus facile de me consacrer uniquement à la musique.
Le joueur de jazz porte un regard positif sur son parcours. Il a beaucoup voyagé et rencontré différentes personnes très intéressantes.
Je suis content de ce que j’ai réalisé dans ma vie. Je suis fier de certains disques et concerts réalisés, des sports pratiqués, comme la course à pied, le ski et la randonnée en montagne, ainsi que d’avoir réussi à gérer des effectifs importants durant mon enseignement au collège.
Des conseils pour de futurs musiciens ?De nos jours, il est plus facile de se lancer dans la musique qu’autrefois : avec internet, tout est beaucoup plus accessible. Avant, il fallait se rendre dans des magasins et acheter des disques, des cassettes ou des vinyles. Cela coûtait cher. Actuellement, on peut se documenter sur la musique gratuitement. Pour se lancer dans ce domaine, il suffit d’en avoir envie, d’apprendre et d’avoir la volonté de travailler régulièrement.
Un message ?« Ayez une passion ! Il est important d’avoir un intérêt très fort pour quelque chose. Avoir l’esprit occupé aide à se sentir heureux. Cela est bénéfique pour la vie ! »
Aujourd’hui, Moncef Genoud continue son ascension musicale en enregistrant avec des formations allant du duo au sextet, ou même avec un orchestre symphonique.
À ce jour, il a enregistré plus de 15 albums sous son nom. Grand voyageur, l’artiste adore découvrir de nouveaux endroits et cultures. Au gré de ses rencontres, il invente et réinvente sa musique à travers chaque projet.
HobbiesLe sport : course à pied, marche en montagne, ski de randonnée et natation.
La lecture de livres audio dans le cadre de la bibliothèque sonore.
Un livre« Donbass » de Benoît Vitkine sur le conflit actuel entre les Russes et les Ukrainiens.
Influences
Brad Mehldau, Chick Corea, Keith Jarrett, Herbie Hancock, Bill Evans, Joey Calderazzo, Robert Glasper ou encore Michel Petrucciani (qu’il a connu personnellement).
Prochains concerts
Consulter son site internet : https://moncefgenoud.com/
Son parcours en bref
Moncef Genoud est aveugle de naissance. Il est né à Tunis en 1961. Envoyé en Suisse à l’âge de 2 ans pour soigner ses yeux, il est adopté par une famille suisse peu de temps après. Il commence sa scolarité à l’Asile des aveugles à Lausanne, puis va au cycle d’orientation du Marais à Genève, et poursuit ses études au Collège Voltaire où il obtient une maturité artistique, en musique. Par la suite, il fréquente le Conservatoire de musique de Genève et obtient un diplôme de professeur de musique en 1987. En parallèle à ses études, il effectue un apprentissage d’accordeur de piano. Il exerce ce métier durant 10 ans auprès de l’entreprise Kneifel pianos, à Genève.
Dans les années 90, il se produit partout en Europe ainsi qu’en Inde, en Australie, en Afrique, au Japon, aux États-Unis et au Canada, en tête d’affiche.
En 1994, il participe aux festivals de jazz de Vancouver et Montréal et ravit le public par de magnifiques prestations.
Dès 1995, il commence par des remplacements auprès du Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP) et obtient, deux ans plus tard, un poste fixe. Il est nommé dans comme professeur de musique, métier qu’il exercera durant 25 ans. La grande majorité de ses élèves l’aimaient bien et il entretenait de très bons contacts avec eux. Cependant, certains jeunes avaient parfois un comportement pénible et le professeur devait les recadrer et se montrer sévère avec eux. Et le pianiste de relativiser : « C’est comme partout dans le monde, il y a des gens sympas et d’autres, moins sympas. Parmi les élèves, c’est pareil. Mais quand je croise d’anciens élèves, je rigole avec eux et ces derniers sont tout contents de m’avoir eu comme professeur. »
En 1997, Moncef est élu pour représenter officiellement le Montreux Jazz Festival à New York, Detroit et Atlanta.
En 2006, avec Youssou N’Dour, qu’il avait rencontré lors d’une tournée en Afrique, ils sont les principaux protagonistes du documentaire à succès « Retour à Gorée ». Ce film documentaire, sorti en 2007, raconte le périple du chanteur africain Youssou N’Dour sur les traces des esclaves noirs et de la musique qu’ils ont inventée : le jazz. Son défi est de rapporter en Afrique un répertoire de jazz et de le chanter à Gorée, l’île symbole de la traite négrière, en hommage aux victimes de l’esclavage. Parcourant les États-Unis et l’Europe, Moncef a pour rôle de guider Youssou N’Dour, chanteur typiquement africain, dans sa quête du jazz. Durant leur voyage, ils croisent de nombreuses personnalités, et créent, au fil des rencontres, des concerts et des discussions sur l’esclavage, une musique qui transcende les cultures.
Dans ce film, Moncef était également responsable de tous les arrangements musicaux. Entre autres, il a revisité la musique de Youssou N’Dour en jazz, en fonction des musiciens qu’il avait à disposition. Le tournage a duré 6 semaines et ce documentaire, réalisé par le Suisse Pierre-Yves Borgeaud, a obtenu de nombreux prix.
Le pianiste a joué sur certaines des scènes les plus prestigieuses du monde : le Montreux Jazz Festival (en 2007 avec les musiciens de « Retour à Gorée » et en 2008 en solo), le North Sea Jazz Festival, le Festival de jazz d’Atlanta, Dizzy’s/Jazz at Lincoln Center à New York, le Festival International de Carthage en Tunisie, le Cully Jazz Festival, l’Opéra de Damas en Syrie, et le Victoria Hall de Genève, où il a partagé la scène avec Brad Mehldau et Anouar Brahem.
En 2022, il a notamment joué au Festival Jazz sur la Plage à Hermance, au Jazz Festival à Saint-Cergue, ainsi qu’à l’AMR à Genève (Association pour l’encouragement de la Musique impRovisée).