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Didier Roche, un « serial rêveur »

Didier Roche est un entrepreneur français né le 16 janvier 1971, à Chartres.

Il devient aveugle à l’âge de six ans à la suite d’un accident domestique.

Après une maîtrise en informatique dans le domaine de l’intelligence artificielle, il entre dans le monde professionnel à l’âge de 23 ans.

Aujourd’hui, il est à la tête d’un groupe d’une dizaine d’entreprises qui a pour objectif, « de créer un pont entre son expérience de chef d’entreprise, associative et médico-sociale et l’économie sociale et solidaire. »

Une interview Synergies-news.


Le choix de devenir entrepreneur

« J’ai décidé d’être entrepreneur pour donner vie à mes rêves. Je souhaitais que l’on me considère comme un être humain à part entière et non un être humain entièrement à part, parce que j’étais handicapé. »

Didier Roche, ancien footballeur aveugle de haut niveau, développe très jeune une âme de leader : « Dès que j’ai eu la possibilité de travailler, j’ai commencé à créer mes propres entreprises. Je voulais donner vie à mes projets dans un environnement professionnel et associatif. »


Le handicap visuel, une force ?

« Comme j’ai parfois de la difficulté à accéder à l’information, cela a développé ma mémoire. De plus, je suis capable de faire facilement le lien entre deux dossiers et de réaliser rapidement des synthèses. »

Un respect et une forme de relativisation se sont installés dans ses équipes : « les gens pensent : s’il est capable de le faire, nous pouvons également le réaliser ».

Le handicap lui a ouvert l’esprit sur les relations interpersonnelles : « Comment les gens communiquent-ils entre eux, quelle est la finalité de leur discours, que recherchent-ils ? Ayant subi à de multiples reprises dans ma vie une communication que je qualifierais de violente, je me suis interrogé sur comment je pouvais interagir avec les autres. Je ne veux pas leur faire vivre ce que l’on m’a fait vivre. »

Didier Roche préfère motiver les gens avec qui il travaille : « Ils font ainsi les choses avec envie et non avec soumission. Quand nous nous soumettons et que nous faisons quelque chose à contrecœur, nous le faisons moins bien. Je dis régulièrement à mes managers : Il vaut mieux avoir l’accompagnement d’un ami que la soumission d’un vaincu ».


Les difficultés

« J’ai dû apprendre à communiquer dans un environnement très visuel : quelle posture adopter ; comment s’habiller, capter le regard de l’autre et être attentif à son besoin visuel ? »

Didier Roche ne voulait pas se considérer comme une victime : « C’est intéressant, car vous êtes le « pauvre du village ». Les gens veulent vous sauver. Ils voient en vous une raison d’être, un statut social qu’ils peuvent s’acheter, une manière de valoriser leur propre ego. Personnellement, je préfère être un entrepreneur qui crée de la dynamique positive, qui fait rêver et qu’on a envie de suivre. Celui avec qui tout est possible ! »

Il ne souhaitait pas non plus faire des « pseudo-non -choix » à cause de son handicap. Alors, il se disait : « Si je renonce, c’est un choix. Donc avance, tu vas surmonter ton handicap, tu vas y arriver une fois, deux fois, et ensuite tu ne te poseras plus de questions, tu feras ! »

Il réalise alors que : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles qu’on n’ose pas les faire. C’est parce qu’on n’ose pas les faire qu’elles sont difficiles. » Dès lors, qu’il se mettait à essayer, elles devenaient faciles. De nombreuses peurs le hantaient comme le regard de l’autre, sa réaction. Cependant, quand bien même il ne voulait pas « y aller », il se lançait malgré tout. Et au final, il s’est libéré : « J’ai fait péter tout cela ! J’ai cassé tout ça ! Et la vie est devenue beaucoup plus simple. »


Ses conseils aux entrepreneurs qui se lancent

Pour Didier Roche, l’argent ne doit pas être un but, mais un moyen : « L’argent crée de la frustration. On n’en a jamais assez. » Et d’ajouter : « Être le plus riche du cimetière ne sert à rien. »

Par ailleurs, il conseille de considérer les médias comme des outils, ainsi que de toujours bien faire les choses, notamment dans la relation avec l’autre en « l’emmenant avec soi », sans chercher à le soumettre à son idée. Il valorise également le travail bien fait qui finit toujours par payer. De plus, il recommande de prendre son temps pour « gagner du temps ».

En outre, il encourage tout un chacun à se lancer : « L’échec comme la réussite sont des expériences de vie qui sont là pour vous faire grandir. N’ayez pas peur d’échouer et n’ayez pas peur de réussir aussi. »


Ses projets

Ayant beaucoup souffert et compris un bon nombre de choses qui ne lui ont pas été enseignées à l’école, Didier Roche a essentiellement envie de donner et de partager.

Il est souvent entouré de jeunes à qui il transmet des clés de vie. Tout comme il discute avec ses collaborateurs qui aiment entrer dans son bureau, s’asseoir autour d’un café ou d’une tasse de thé et qui lui posent des questions : « Ils ressortent toujours avec la banane », nous confie-t-il.  

Selon lui, il y a deux ego : le « petit », tourné vers soi, qui génère beaucoup de frustration, de jalousie ou de colère, et le « grand », tourné vers l’autre, qui donne sans attendre en retour. « L’être humain est né dans cette capacité de don naturel. Le « grand ego » vertueux peut créer une dynamique de dons réciproques qui conduit à la gratitude et au comblement. » L’entrepreneur essaie d’avoir cette attitude d’ouverture à l’autre dans ses relations en essayant d’amener la personne à comprendre le « grand ego ». Il s’agit même de son « projet de vie » dont ses affaires sont un moyen pour avancer dans cette direction.


L’accès au monde professionnel des personnes non voyantes

Didier Roche est optimiste et porte un regard plutôt positif sur ce sujet. Il estime que de plus en plus de non-voyants de la génération actuelle trouvent un emploi.

« En France, l’État-providence pousse parfois les personnes en situation de handicap à ne pas faire le nécessaire pour décrocher un job, car ils touchent différentes formes de pensions qui leur permettent de vivre. Si on veut avoir un emploi avec un salaire, on peut se créer son propre travail, ou du moins essayer, car il n’y aurait pas de raison que l’on ne soit pas occupé, de quelque manière que ce soit, à contribuer à la collectivité ».

Concernant les entreprises, la problématique se situe, selon lui, dans les qualifications ou les formations que les personnes handicapées n’ont pas forcément : « Il ne faut pas hésiter à se former pour pouvoir trouver un emploi, pour mettre toutes les chances de son côté. »

Didier Roche reçoit souvent des sollicitations de personnes non voyantes qui veulent être engagées. Et de leur répondre : « Mais pour faire quoi ? Je n’embauche pas parce que la personne est handicapée, mais parce qu’elle a des compétences et des savoir-faire. »

Il estime que dans le travail, il y a certes, le salaire, mais aussi la reconnaissance sociale, les liens sociaux que l’on crée qui sont importants, car ils permettent d’avoir une existence, un sentiment de fierté. Il constate également une progression dans le marché de l’emploi entre aujourd’hui et il y a 20-25 ans : « Bien qu’il y ait encore des progrès à faire, la société avance bien. Elle peut encore continuer à avancer. »


Son message aux lecteurs

« Faites de chaque instant un bon souvenir pour l’instant qui suit ! Il ne faut pas faire attention aux petits malheurs, car il y a sûrement plus de petits bonheurs. Quand on regarde les petits malheurs, on est dans la souffrance, quand on regarde les petits bonheurs, on est dans la joie. Laissez le malheur aux autres, ils sauront en faire bon usage. Faites ! »


Son parcours de « serial rêveur »

  • En 1992 : il devient administrateur de l’association Paul Guinot qui propose un centre de formation professionnelle pour aveugles et malvoyants. Il en sera le vice-président pendant plusieurs années.
  • En 1995 : il crée Itack, sa première société spécialisée dans les biens et services pour aveugles et malvoyants.
  • Dans les années 2000 : il devient fondateur du projet « Eurovision France », destiné à la formation et l’information des personnes avec un handicap visuel sur l’arrivée de la monnaie Euro qui remplace le Franc français.
  • En 2001 : il fait partie des fondateurs de la radio Euro-FM destinée aux personnes en situation de handicap. Elle deviendra par la suite Vivre FM.
  • En 2004 : il est le président et fondateur de l’attraction du Futuroscope « Les Yeux Grands Fermés ».
    Il fait partie des cofondateurs et directeurs du groupe Ethik Investment qui développe et crée la chaîne internationale de restaurants « Dans le Noir ? » proposant des repas dans le noir complet. La clientèle peut ainsi se rendre compte de ce qu’implique un handicap visuel. De plus, elle doit faire entièrement confiance aux serveurs non-voyants.   
  • En 2008 : il fonde et préside l’Union professionnelle des travailleurs indépendants handicapés.
    Il crée une association qui fait exister la personne handicapée comme entrepreneur, et développe, dans la loi, le statut de travailleur handicapé en France.
  • En 2011 : il crée au sein du groupe Ethik Investment, l’institut d’esthétique et de bien-être, SPA « Dans le Noir ? »où les esthéticiennes sont handicapées visuelles.
  • En 2018 : il cofonde et gère Ethik numérique qui propose la digitalisation et la dématérialisation de toutes sortes de documents papier. Ces prestations sont réalisées par une équipe d’opérateurs autistes.
  • Depuis 2020 : il s’occupe de « Blind and Design », une société de productions audio et vidéo rendues accessibles pour toutes personnes en situation de handicap (Audio description, Sous titrage, langue des signes, FALC (facile à lire et à comprendre), etc.