Dans le cadre de nos dossiers sur les handicaps invisibles, nous vous proposons de parler d’un trouble psychique qui touche 1 % de la population mondiale : la schizophrénie.
Cette maladie souffre d’idées reçues parfois inquiétantes. Déstigmatiser cette pathologie et mettre en lumière ce qu’une personne atteinte de schizophrénie peut accomplir, et ce malgré son handicap, est important. Nous souhaitons également découvrir comment la personne touchée et l’entourage vivent la maladie au quotidien.
Dans cet article, nous mettrons cette pathologie dans son contexte temporel et historique, la définirons, verrons quels sont les traitements possibles et, enfin, nous donnerons des informations sur des associations et des ouvrages pouvant aider les malades et leurs proches.
Finalement, nous terminerons par le témoignage de Paula* (atteinte de schizophrénie) et de son compagnon, Bruno*.
Nous espérons que ce dossier vous permettra de mieux connaître ce handicap invisible et dissipera les fausses croyances à son sujet.
Lucia De Solda, rédactrice à Synergies-news
*prénoms d’emprunt
Qu’est-ce que la schizophrénie ?
Le terme « schizophrénie » vient de « Skhizein » (fendre, scinder, couper, fêler) et de « phrèn » (esprit). Ainsi, nous pouvons dire que l’esprit d’une personne schizophrène est comme « coupé » du monde extérieur.
La schizophrénie est une maladie psychique chronique sévère. Elle est caractérisée par une modification de certains processus de pensée, des sentiments et des émotions. Elle touche également la perception et les comportements. Contrairement à certaines idées reçues, elle n’est pas associée à une double personnalité.
Historique
En 1898, le psychiatre allemand Emil Kraeplin est le premier à avoir identifié cette maladie. Cependant, il en avait une idée incomplète et erronée. La schizophrénie était nommée injustement, en latin, « Dementia praecox » (soit « démence précoce »).
C’est en 1908 qu’un de ses confrères, le psychiatre suisse Eugen Bleuler en parle lors de la réunion annuelle de l’Association allemande de psychiatrie. En 1911, il publie une monographie sur cette pathologie. Sa définition était plus proche de ce que nous connaissons aujourd’hui. En effet, ce trouble apparaît parfois tardivement et n’est pas une démence.
Toujours selon ce psychiatre, la schizophrénie s’apparente à un dysfonctionnement particulier de la fonction associative qui amène à une sorte de « division » des fonctions psychiques. Ainsi apparaît le terme schizophrénie qui fait ressortir la « division de l’esprit ».
Néanmoins, il faudra du temps avant que le trouble schizophrénique soit mieux compris et soigné.
L’arrivée des psychotropes va bouleverser les choses, comme cela a été le cas pour le trouble bipolaire, avec le premier stabilisateur d’humeur, le lithium. En ce qui concerne la schizophrénie, l’utilisation des premiers neuroleptiques va « changer la donne ». Ils vont amener à une approche psychothérapeutique inenvisageable auparavant. Les psychiatres se sont rendu compte que les personnes atteintes de schizophrénie étaient conscientes de ce qui leur arrivait. Néanmoins, étant plus fragiles, elles avaient plus de mal à faire valoir leur point de vue à autrui.
Diagnostic actuel
De nos jours, la conception de cette pathologie a évolué. Les médecins posent le diagnostic de schizophrénie par élimination des autres pathologies possibles. Il arrive ainsi que l’on trouve une raison particulière à l’apparition de la maladie et, dans cas-là, on parle de « schizophrénie symptomatique » ou « secondaire ». En outre, il est intéressant de noter que l’on parle de schizophrénies au pluriel, car il y en a différents types.
Cette pathologie commence généralement entre 15 et 25 ans, parfois plus tôt, mais elle est souvent diagnostiquée avec un certain retard. Elle touche aussi bien les femmes que les hommes. Bien que ce trouble ne disparaisse jamais (certains médecins et certaines personnes concernées pensent le contraire ou nuancent le propos – cf. plus bas -), elle peut souvent être maîtrisée grâce à des soins médicaux appropriés et au soutien de la famille.
Environ 1 % de la population mondiale souffre de schizophrénie.
Symptômes
Certains signes et symptômes peuvent notamment alerter l’entourage :
On distingue trois sortes de symptômes : les positifs (les plus « spectaculaires »), les négatifs et les fonctionnels.
Les positifs sont, par exemple :
- Idées délirantes
- Hallucinations : visuelles, olfactives ou bien auditives (le plus souvent, des voix non bienveillantes)
Les négatifs (plus silencieux) sont notamment :
- Un repli sur soi
- Moins de relations sociales et affectives
- Des réactions émotionnelles atténuées ou décalées
- Une perte d’intérêt pour ce qui était apprécié avant
- De la procrastination
- Des journées sans activité
- Un « laisser-aller » (pouvant toucher aussi l’hygiène personnelle)
Les fonctionnels amènent parfois la personne à avoir :
- Des phrases peu cohérentes et une utilisation de mots étranges
- Des comportements désorganisés ou excentriques
Si ces symptômes ne sont pas présents, l’entourage peut être alerté par d’autres éléments dans la vie quotidienne. Ainsi, la personne peut avoir des difficultés dans sa vie de tous les jours, par exemple pour son organisation, pour passer à l’action, pour concevoir des projets, pour travailler ou même avoir des loisirs sur une durée continue.
Par ailleurs, elle peut souffrir sans pouvoir l’exprimer, avoir son rythme de vie déséquilibré, être très nerveuse et méfiante ou avoir peur des écrans. Ce sont quelques exemples non exhaustifs.
Ce sont les symptômes négatifs et ces difficultés d’ordre cognitif qui affectent le plus la vie des personnes, même lorsqu’elles sont psychiquement bien stabilisées.
Causes
La schizophrénie n’a pas de cause unique reconnue. Plusieurs facteurs déclenchants sont possibles.
Une personne avec une certaine fragilité psychologique pourra être affectée de schizophrénie. En outre, certains médecins avancent l’hypothèse qu’il existerait une part génétique (la schizophrénie est une maladie que l’on peut parfois retrouver chez les ascendants) et/ou neuronale (donc lié au cerveau) ainsi qu’une part liée à l’environnement familial.
Par ailleurs, la consommation de produits psychotropes, illicites ou non, tels que le cannabis ou l’alcool pourrait favoriser l’apparition de la pathologie. Il est à relever qu’une personne atteinte de schizophrénie n’est pas uniquement « malade », elle possède aussi des côtés sains. Ainsi, un médecin écrit dans le livre « Mon frère n’est plus connecté dans sa tête : La schizophrénie, 2015 » : « (.) Quand on veut soigner cette maladie, nous, soignants, on s’occupe des parties saines qu’on essaie d’entraîner à envahir celles qui sont malades pour ainsi tenter de l’amoindrir ».
Précautions
Il est essentiel pour la personne concernée de mettre en place différents « piliers » qui l’aideront à aller vers un mieux-être :
D’une part, la personne atteinte de schizophrénie doit être suivie de près, par le biais d’une psychothérapie. Un traitement médicamenteux adapté sera le plus souvent prescrit. Dans le cas contraire, une personne souffrant de cette pathologie pourrait « passer à l’acte », c’est-à-dire tenter de mettre fin à sa vie.
Évolution de la maladie
Selon le DSM-IV, « La rémission complète est le plus souvent inhabituelle dans ce trouble. » Néanmoins, l’OMS est moins catégorique : « Dans un certain nombre de cas, qui varient selon les cultures et les populations, l’évolution se fait vers une guérison complète ou quasi complète. »
Fin mars 2022, j’ai suivi deux ateliers en visioconférence lors des journées de la schizophrénie.
La première, intitulée « Au cœur de la réhab », avait pour thème la réhabilitation. C’était un échange entre des professionnels (dont un éducateur spécialisé et un neuropsychologue) et plusieurs usagers d’un Centre de réhabilitation, en France. Les objectifs étaient de partager les expériences et les témoignages, de donner des idées de parcours de vie sur la réhabilitation psychosociale et de donner une philosophie de soin pour et avec les usagers avec une identité positive.
Podcast de cet atelier (1 heure) :
La seconde visioconférence, intitulée « Schizo-bis et canna-phrénie, le couple infernal ? » avait pour thème la corrélation possible entre la consommation de cannabis et l’apparition de la schizophrénie. Les deux intervenants dans les soins étaient un médecin psychiatre (de la Réunion) et une infirmière en addictologie. Un ancien consommateur de cannabis a également témoigné sur son parcours. J’ai trouvé cet apport très instructif. Intéressant à relever : une application sur comment stopper le cannabis : stop-cannabis.ch et une application (élaborée à Fribourg) qui parle des vrais-faux sur la schizophrénie et d’autres troubles psy : Psyquiz.
Podcast de cet atelier (1h30) :
Rencontre avec Paula*, atteinte de schizophrénie, et Bruno*, son compagnon
Paula a 43 ans. Elle travaille à 50 % et est à 50 % à l’Assurance-Invalidité (AI). Elle suit une formation de pair-praticienne en santé mentale et anime le Réseau d’Entraide d’Entendeurs de Voix (REEV).
Pour vous, qu’est-ce que la schizophrénie ?
Une maladie où il y a 1 % de la population qui en est atteinte. L’expression « t’es un schizo » est considérablement employée. La maladie est beaucoup associée à l’hallucination visuelle et auditive. Pour moi, ce n’est que la pointe de l’iceberg. La schizophrénie englobe également l’isolement social, la peine à s’intégrer dans la société, le fait de se sentir harcelé, persécuté et parfois entendre des voix, voir des choses et sentir des odeurs. Par ailleurs, cela touche aussi la confiance et l’estime de soi qui est à un niveau très bas. En ce qui me concerne, il y a aussi de l’hypersensibilité.
Comment ce trouble vous est-il apparu ?
Quand j’étais petite, j’ai toujours eu des difficultés. Des remarques telles que « Paula regarde par la fenêtre, Paula est absente, pas en classe » étaient souvent employées pour moi. Personnellement, c’est quelque chose qui est venu petit à petit et qui n’aurait peut-être pas pu se déclarer, j’aurais toujours été en retrait social.
Quand et comment a-t-il été diagnostiqué ?
À l’âge de 24 ans, le corps médical m’a posé le diagnostic de schizophrénie paranoïde, mais il y a plusieurs schizophrénies. Quand j’étais vraiment dans la phase décompensatoire**, je me suis aperçue que quelque chose n’allait pas. Je ne dormais plus, je n’arrivais plus à prendre du recul sur les choses, des idées obsédantes me travaillaient jour et nuit. On en voulait à ma famille, les hélicoptères et les caméras me surveillaient. Il y avait des conflits entre la mondialisation et l’antimondialisation. Une odeur nauséabonde me suivait, une voix me disait « Casse-toi, tu pues ! ». J’ai demandé de l’aide à ma famille et j’ai été hospitalisée. Le mot « schizophrénie » est un mot fourre-tout. Les symptômes peuvent être différents pour chaque personne atteinte de schizophrénie.
Que saviez-vous sur cette maladie psychique avant le diagnostic ?
Pour moi, cela ne voulait pas dire grand-chose, à part que j’étais folle. La première fois que j’ai été hospitalisée, ce n’était pas à Genève, mais dans un autre canton : je n’étais pas très informée. Ce qui était en premier plan, c’était mon mal-être intérieur, cette souffrance et le fait que je n’arrivais pas à comprendre les codes de la société. En plus, s’ajoutait le délire qui était là.
Comment vous êtes-vous informée sur la maladie ?
À l’hôpital, on m’a donné une BD (dont je me souviens très bien) où il y avait un monsieur qui vivait normalement et qui finalement mettait un casque sur ses oreilles. Il se trouvait isolé de cette manière. Ces images me sont restées. Je n’ai pas trouvé que cette bande dessinée expliquait la pathologie. Ensuite, un médecin m’a dit : « il y a ci, il y a ça », surtout en sortant d’hospitalisation. Je dirais que j’ai plutôt ressenti qu’intellectualisé la maladie. Je ne connaissais pas encore bien internet parce que je ne l’avais pas étudié à l’école. Ce n’était pas facile parce que j’avais tout un délire sur ce qu’était internet : on me surveillait toujours. C’était autour de 2005. Ça a duré longtemps. Pour m’informer, internet ce n’était pas trop « ma tasse de thé ». Par conséquent, j’ai acheté quelques bouquins. Par ailleurs, plus tard, j’ai eu la chance de tomber sur un psychiatre. Il me suit depuis une quinzaine d’années. Mais, avant cela, c’était un peu chaotique. Pour sortir du déni, il m’a fallu environ 5 ans. Je suis partie en Argentine. En rentrant, j’étais en décompensation ! C’est à ce moment-là que j’ai compris ce qui n’allait pas, il me fallait de l’aide.
Décrivez-nous les étapes que vous avez vécues
J’ai eu la chance de sortir de l’hôpital avec des médicaments qui fonctionnaient sur les voix. J’ai néanmoins fait plusieurs rechutes, car le rétablissement n’est pas une ligne droite, qui monte et qui prend de la puissance, c’est plutôt un brouillon. J’ai été hospitalisée une deuxième fois. Là, j’ai vraiment compris qu’il y avait ce mot « maladie ». En 2019, j’ai commencé une formation de Paire praticienne en santé mentale (PPSM). Celle-ci m’a permis de mettre des mots sur mes ressentis. La première année a été consacrée au rétablissement, pour voir les étapes, pour mettre les mots dessus. Aujourd’hui, en fin de formation, je ne dirais pas que je suis rétablie, un chemin n’est un pas un long fleuve tranquille, il y a eu des tourbillons, mais ça fait un moment que c’est tranquille.
Pouvez-vous nous parler de l’association Réseau d’Entraide des Entendeurs de Voix (REEV) et de ce qu’elle vous apporte ?
Le REEV est un groupe de paroles destiné aux entendeurs de voix. Pour moi, ce qui est important dans ce groupe, c’est le côté mal-être, qu’on n’arrive pas à s’intégrer dans la société, mais surtout s’encourager et se soutenir les uns, les autres. Ces moments permettent aussi de parler des sens qui nous jouent des tours. Mais on voit tout de suite quand quelqu’un a entendu des voix. Je vous donne une image : on a beau tout savoir sur la mer (la Méditerranée, les poissons, la documentation, etc.), mais tant que l’on n’a pas été nager dans la mer, on ne saura jamais la sensation. Je trouve que c’est ce soutien-là qui est important. Le groupe (adresse email : reev_ge@hotmail.com) se retrouve tous les deuxièmes lundis du mois, à l’association Parole (rue du Vieux-Billard 1, 1205 Genève). Les proches et les soignants peuvent participer. On est ouvert aux tripartites.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Je dirais que depuis que je connais Bruno, je n’ai eu que deux petites décompensations. Mais avoir une liste des symptômes (signes d’alerte) que j’ai faite avec mon psychiatre (tels que perte de sommeil, fatigue, par exemple) m’aide. Chaque matin, sous ma douche, je vérifie cette liste et j’adapte ma journée en conséquence. Comme je travaille dans un métier « classique » (« normal »), il faut que je m’intègre et que je sois apte à l’exercer. Je dois notamment prendre les commandes par téléphone. Si je prends trop de médicaments, je suis incapable d’aller jusqu’au bout avec une cliente. C’est une question de concentration. Ma stratégie est d’essayer de planifier ce qui est primordial dans la vie. Maintenir mon travail pour ne pas être en arrêt est une priorité, par exemple. Si je vois que ça ne va pas très bien, je dis à Bruno : « Écoute : je préfère être seule et m’isoler un moment ». Ou faire quelque chose de tranquille, dans la nature par exemple. C’est vraiment des moments où je dois « fermer les écoutilles ». Par exemple, à la maison, c’est soit écouter de la musique ou, si je n’arrive pas à lire, je prends une BD. J’ai mis en place des stratégies. Mon état est stable depuis quelques années. Justement, s’il y a une petite rechute, j’arrive tout de suite à mettre les « warnings ».
Que faire pour mieux connaître cette pathologie ?
- Sensibiliser les personnes
- Faire des actions dans la rue
- En parler intelligemment
Comment l’entourage amical et familial d’une personne souffrant de trouble schizophrénique peut-il l’aider ?
Mon entourage m’a fait confiance, il m’a laissé gérer par moi-même. Je ne pense pas qu’infantiliser la personne soit bien. Même si c’est un « tsunami » qui arrive dans la famille ou parmi les proches, infantiliser la personne ne va pas l’aider. À ce moment-là, si l’on change de regard, la personne qui a la schizophrénie le sent. Elle va en jouer aussi. Voilà, c’était ça le message. Les rôles des parents restent les rôles des parents, les rôles des amis aussi. Et moi, j’attends toujours qu’ils me connaissent un petit peu pour dire « moi, je suis aussi passée par… » Et c’est drôle quand on parle d’une maladie psychique « ah, mais moi j’ai tel et telle… », ça ouvre quand même le dialogue. Après, quand on a des phases très basses et qu’on n’arrive pas à faire son ménage, qu’on reste au lit, etc., au lieu que les proches disent frontalement « tu ne fais rien, tu es flemmard, tu restes toute la journée à la maison » c’est que l’on n’est pas capable de faire mieux que ce que l’on est déjà en train de faire. Je trouve que c’est important de dire qu’au lieu de faire un reproche « tu devrais te secouer » ou plus ou moins similaire, c’est peut-être d’aller parler à la personne pour voir ce qui ne va pas et peut-être désangoisser, mais encourager déjà : « Ah bah tu t’es levé, tu as pris une douche, c’est déjà bien ». Voir déjà le positif des choses parce qu’il y a déjà beaucoup de négatif dans les symptômes.
Que faire si l’on nous diagnostique un trouble schizophrénique ?
Ce qui a été déterminant pour moi ça a été de vouloir avoir moins de souffrance et de comprendre ce qui se passait, savoir que la vie valait d’être vécue, avoir confiance en la vie, éviter de se comparer aux autres. À l’âge de 25 et 30 ans tout mon entourage se mariait, était en couple – moi en maladie – il a fallu construire autrement ma vie. Le résultat est qu’aujourd’hui je suis heureuse. En fait ce que je veux dire par là, c’est que ce n’est pas parce que l’on est en décompensation que l’on ne verra pas le bout du tunnel, que l’on n’aura pas une stabilité un jour dans sa vie. Un conseil : c’est difficile, parce que chacun a ses croyances, mais si l’on peut donner un peu d’espoir, ça serait bien en fait de se dire « OK, c’est une catastrophe qui arrive, mais quand on a touché le fond, on ne peut que remonter ».
Le point de vue de Bruno, en couple avec Paula
« Cela fait 10 ans que nous sommes ensemble. Nous sommes très indépendants et avons chacun notre appartement. Nous avons de nombreux points communs. »
Comment vivez-vous avec la maladie de Paula ?
« La première fois que Paula m’a parlé de sa maladie, j’étais en cours de séparation avec mon ex-femme. J’étais suivi par un psychiatre. Je lui ai dit : “Ma compagne m’a dit qu’elle était schizophrène. J’ai un peu peur”. J’étais déjà dans une situation personnelle délicate et proche d’une dépression. Savoir que Paula était schizophrène m’a un peu inquiété. Je pensais que nous deux, ça n’allait pas fonctionner : moi avec mon mal-être et elle avec sa maladie. Par ailleurs, je ne savais pas ce que cela signifiait au quotidien d’être en couple avec une personne schizophrène. Je pensais que tout d’un coup elle pouvait avoir un comportement dangereux. Elle m’a expliqué son parcours et où elle en était avec sa maladie. Pour finir, on est toujours ensemble ! Paula a besoin de sa sphère privée dans son propre appartement pour se ressourcer. Nous avons envisagé de prendre un appartement ensemble, mais assez rapidement, nous nous sommes rendu compte que ça ne serait pas possible. Nous avons besoin tous les deux d’avoir des moments seuls, de notre “bulle” pour nous recentrer. Je pourrais, par exemple, partir en montagne une semaine tout seul. Paula dit que je suis son roc, son pilier, car je suis ancré. Mais je pense qu’elle joue également ce rôle. Même avec sa maladie, elle m’a écouté, m’a conseillé. Chacun est le roc de l’autre. J’ai cependant plus l’impression que c’est elle qui m’a soutenu dans les moments difficiles. »
Avez-vous des conseils à donner à des proches de personnes atteintes de schizophrénie ?
« Il est important d’en parler avec la personne concernée. Personnellement, j’ai découvert cette maladie avec Paula. Ensuite, je conseille à chacun de s’ouvrir et de discuter avec un professionnel qui pourrait expliquer vraiment ce qu’est la maladie elle-même. En outre, il s’agirait de ne pas avoir d’a priori sur la schizophrénie ou faire des raccourcis en se basant sur nos pensées, nos idées ou des films de fiction. On pense que quelqu’un qui est schizo, c’est quelqu’un qui va un jour “péter un câble” ou qui est plus ou moins ailleurs, sur une autre planète et qui est fou. Les gens se pensent normaux, mais la question est de savoir où se situe la normalité ! »
*Prénoms d’emprunt
** La décompensation est la rupture de l’équilibre que l’organisme a trouvé pendant une certaine période pour faire face à une maladie ou à un trouble quelconque.
Pour aller plus loin
Une sélection d’ouvrages intéressants sur cette thématique
« Deroin, C. (2015). Mon frère n’est plus connecté dans sa tête ? La schizophrénie (pas de panique, c’est la vie). Oskar. »
Mathilde, 16 ans, confie à son journal intime son malaise et ses angoisses face au comportement dépressif de Jules, son frère aîné et adoré, diagnostiqué schizophrène et qui, depuis deux ans, refuse de sortir de sa chambre et de parler. Une approche de la maladie adaptée aux adolescents, intéressante aussi pour les adultes. Avec des sites internet des adresses utiles pour certains pays francophones, dont la Suisse. Une partie explicative et plus médicale grâce à l’intervention écrite d’un psychothérapeute-psychanalyste français.
« Cunningham, D. (2013). Fables psychiatriques. Çà et là. »
Darryl Cunningham est un ancien aide-soignant dans la psychiatrie et dessinateur également. Sous la suggestion de certains de ses amis et suite à la lecture de « Persepolis », il décide de raconter des anecdotes sur son expérience en milieu psychiatrique en bande dessinée. Voici donc la création de « Fables psychiatriques ». Ce document est intéressant, pertinent, graphiquement bien fait. L’objectif de l’auteur était de « bousculer les préjugés ». Il est dédié néanmoins d’abord aux patients qui vivent avec leur maladie. L’ensemble des histoires racontées est intéressant. Cette bande dessinée mérite d’être lue et partagée.
« Granger, B., & Naudin, J. (2019). La Schizophrénie : Idées reçues sur une maladie de l’existence. Le Cavalier Bleu Éditions. »
L’auteur parle des idées reçues sur la schizophrénie, entre la description clinique, l’évolution épidémiologie, les causes et finalement les traitements. On y apprend, notamment, que la schizophrénie n’est pas un dédoublement de la personnalité et qu’elle n’est pas toujours caractérisée par des hallucinations auditives ou visuelles. Selon ce livre, une personne atteinte de schizophrénie pourrait « en sortir ». Un livre biographique que je conseille, car il laisse aussi cette lueur d’espoir (voir plus bas). Pour en savoir encore plus sur la réalité de cette psychose, il vaut la peine de lire ce bouquin complet.
« Lauveng, A., Fouillet, A., & André, C. (2015). Demain j’étais folle : Un voyage en schizophrénie. Autrement. »
Le parcours d’Arnhild Lauveng, une femme norvégienne à qui on a diagnostiqué une schizophrénie vers son adolescence. À travers ses yeux, on découvre ses hospitalisations, le suivi qu’elle a eu par les soignants, ses échecs et ses réussites. Un livre poignant et touchant de vérité, écrit par une personne touchée par cette pathologie et qui donne de l’espoir aux personnes souffrant de schizophrénie et à leurs proches. En effet, l’auteure est devenue psychologue, comme elle le souhaitait et est rétablie. Préface de Christophe André, psychiatre français. Un livre que je conseille par son enseignement et l’histoire de vie très intéressante.
« Gringe (Guillaume Tranchant) (2021). Ensemble, on aboie en silence. HARPERCOLLINS. »
Le rappeur Gringe (Guillaume Tranchant) raconte sa relation avec son frère Thibault, diagnostiqué schizophrène.
Ouvrages diagnostiques de références
- Le DSM – Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders – publié par l’Association américaine de psychiatrie décrivant et classifiant les troubles mentaux.
- La CIM – Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes publiée par l’Organisation Mondiale de la Santé OMS.
Adresses de contact en Suisse romande et liens internet
Coraasp
Avenue de la Gare 52 – 1003 Lausanne – Tél. 021 311 02 95
info@coraasp.ch
www.coraasp.ch
Le Biceps
Pour personnes entre 7 ans et 25 ans, proches d’une personne souffrant d’un trouble psychique. Genève
https://www.bcas.ch/fr/accueil
Association pour les proches souffrant de troubles psychiques
Le Relais, à Genève : https://lerelais.ch/
Email : info@lerelais.ch et relaisgeneve@gmail.com
Grepsy
www.grepsy.ch
Graap
www.graap.ch
https://association.graap.ch/
Santepsy
https://www.santepsy.ch/fr/
Vidéos