Christian Pernet est physiothérapeute depuis plus de 30 ans. Sa particularité : il est aveugle.
Il a perdu la vue à la suite d’un accident, à l’âge de 21 ans.
Une interview Synergies-news.
Parcours
Christian Pernet a fait un CFC de menuisier : « J’étais un manuel. Mais à 21 ans, un accident a changé le cours de ma vie. J’ai eu un reclassement professionnel dû à mon handicap visuel. »
Au départ, l’AI lui propose une formation de téléphoniste qui ne lui convient pas : « Je ne suis pas très copain avec les téléphones ! »
Il entre alors en contact avec un physiothérapeute non-voyant. C’est le déclic : « Je trouvais que c’était un joli métier. De plus, je faisais pas mal de sport. J’ai pu m’initier aux massages sportifs. J’aimais bien ce contact avec les gens. »
Il propose la formation de physiothérapeute à l’AI. Mais c’est la douche froide : « Ils m’ont dit que je n’avais pas du tout les compétences scolaires pour faire ce métier. Après un test psychotechnique, une psychologue m’a confirmé que je n’avais pas les compétences intellectuelles requises. Cependant, compte tenu des circonstances, elle me donnait la chance d’essayer ! La psychologue m’a dit : “Je vous fais confiance”. Je savais qu’il fallait que je travaille beaucoup si je voulais y arriver. Mais quand nous avons un but dans la vie et nous savons où nous allons, c’est plus simple ! »
L’école de physiothérapie
Avant d’entrer à l’école de physiothérapie, Christian Pernet a dû faire une année préparatoire afin d’avoir le niveau du bac scientifique français.
Puis, il peut enfin commencer l’école de physiothérapie. La formation dure trois ans : « la première année est très théorique. Nous apprenons l’anatomie, les maladies, les AVC, etc. La deuxième année, nous faisons des cours avec des médecins et des physiothérapeutes qui nous apprennent les techniques de rééducation. Finalement, la troisième année se concentre surtout sur les stages pratiques. »
Il reçoit son diplôme d’État français avec la note de 18 sur 20.
Des bâtons dans les roues…
Une fois sa formation terminée, trouver du travail n’est cependant pas facile : « Quand vous vous formez, tout le monde vous dit que c’est magnifique. Mais quand vous arrivez sur le marché du travail suisse, les portes se ferment ! Si vous avez des troubles de la vue, on ne vous engage tout simplement pas. »
Les stages dans les différents hôpitaux se déroulent parfaitement, mais lorsque Christian envoie ses offres d’emploi spontanées, il reçoit systématiquement des réponses négatives : « En fait, ils cherchaient un physiothérapeute “autonome” ou bien alors on avait peur que je glisse sur le sol mouillé avec les patients. Ce n’est pas parce que nous sommes non-voyants que nous allons tomber… Bien sûr, je ne dis pas que je ne peux pas glisser, mais tous les jours il y a des infirmières qui voient parfaitement bien et qui tombent. J’ai l’impression que les gens créent des problèmes qui n’existent pas ! »
Le travail actuel
Aujourd’hui, Christian Pernet possède son propre cabinet de physiothérapie.
« Je m’occupe de patients qui ont des problèmes de hanche, des prothèses de genoux, qui ont subi des opérations de l’épaule, des lombalgies, des cervicalgies, des problèmes d’épicondylite, etc. C’est très varié. Le plus jeune patient a six mois et le plus âgé a 100 ans. Je dois donc m’adapter à chaque patient, ce qui est très intéressant », s’enthousiasme Christian.
Moyens auxiliaires
L’AI prend en charge la synthèse vocale qui rend service au physiothérapeute dans ses tâches administratives : « Une voix de synthèse m’indique ce que j’ai sur l’écran. Ainsi, je peux gérer mon agenda et ceux de mes collègues. C’est très pratique. L’informatique ne m’intéresse pas vraiment, mais ce système fonctionne, c’est le plus important. »
Sa collègue l’aide également dans son travail. Elle effectue la lecture des ordonnances médicales qui ne peuvent pas être lues par des appareils auxiliaires.
Le regard des autres
Les patients font confiance à Christian depuis de nombreuses années : « Avec ma collègue, nous avons environ une centaine de patients par semaine. Leur retour est positif. Les gens disent souvent que les non-voyants ont plus de sensibilité, qu’ils sont plus tactiles. Pour ce métier, c’est donc un avantage. »
En 24 ans d’activité, il n’a rencontré qu’une dame qui avait peur de se faire soigner par un non-voyant !
Christian encourage les jeunes qui voudraient être physiothérapeutes : « C’est un beau métier, il faut juste se battre pour trouver un emploi. Il ne faut pas baisser les bras au premier “non”. »
Coup de gueule
Christian pense qu’en Suisse, les gens ont un peu peur de la différence et du handicap : « Ce n’est pas comme en Allemagne, en France ou aux États-Unis, par exemple. En effet, ces pays ont subi des guerres et ont été plus confrontés à des problèmes de handicaps. »
Il souhaiterait que les entreprises suisses adoptent le même système de quotas de personnes en situation de handicap que dans les pays précités : « À partir d’un certain nombre d’employés, vous devez avoir un pourcentage d’employés en situation de handicap. Vous payez ainsi moins d’assurance invalidité. En Suisse, si vous engagez une personne handicapée, vous payez la même cotisation AI. De plus, vous avez des formulaires complexes à remplir où vous n’avez pas forcément de réponses aux questions posées. Ces difficultés n’encouragent pas les employeurs à engager des personnes en situation de handicap. C’est dommage ! Il faudrait changer cela ! »
Passions et hobbies
Christian aime le ski : « C’est un sport où j’arrive à retrouver toute ma liberté. Quand je suis sur une piste où il y a de la place, mon guide me dit “libre”, ce qui veut dire que je peux skier comme je veux, je suis libre ! Certaines fois, j’oublie même que je ne vois pas ! »
Il apprécie aussi la marche : « avec mon chien, je marche tous les jours, que ce soit en ville ou dans la campagne. Entre une heure et une heure et demie par jour. J’adore bouger. »
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