Amour, sexe et handicap : la fin d’un tabou ?

Par Celya

« Ce n’est pas parce qu’on est une personne en situation de handicap qu’on n’a pas le droit de recevoir et de ressentir de la tendresse, de l’affection, ainsi que de vivre pleinement sa sexualité », Michel, reporter au journal Synergies.

Un exemple très concret
La sexo-pédagogue Catherine Agthe Diserens nous donne un exemple très concret concernant la sexualité d’un jeune homme de 28 ans, infirme moteur cérébral : « Ses grandes limitations physiques l’empêchent de se masturber. Il vit dans une structure d’accueil et demande, grâce à une synthèse vocale, l’utilisation d’un sex toy. Il a évidemment le droit d’utiliser ce gadget, mais il a besoin d’aide pour glisser le vibromasseur sur son pénis. Au sein de l’équipe soignante, des résistances se font entendre : une partie des professionnels estime que ce geste ne relève pas de leur rôle et les autres trouvent normal de suppléer le manque de motricité de ce résident.

Étonnamment, lorsque l’on évoque le droit à la sexualité (donc la masturbation, l’accès au plaisir, etc.) personne ne le conteste. Au contraire, lorsqu’il faut agir plus concrètement, voici que les résistances se réveillent et se manifestent ! »

Histoire
Peu d’écrits relatent la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap avant le 20e siècle. Nous pouvons citer le cas du Polonais Józef Boruwłaski. De petite taille (99 cm), il servait de bouffon aux dames de la cour d’une princesse, au 18e siècle. Il épousera la demoiselle de compagnie d’une comtesse, Isaline Barbutan avec qui il aura de nombreux enfants. Il parle ouvertement de ses passions amoureuses et sexuelles dans ses mémoires, écrites en 1788.

Jusqu’en 1970, la sexualité des personnes handicapées est un sujet tabou. La révolution de mai 68 permettra une libération des mœurs et plus d’ouverture sur cette thématique. Cependant, rares seront encore les institutions qui permettront l’épanouissement de la vie sexuelle de leurs bénéficiaires.


En 2002, un rapport de l’OMS déclare que : « La Santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social associé à la sexualité. Elle ne consiste pas uniquement en l’absence de maladie, de dysfonction ou d’infirmité. La santé sexuelle implique une attitude positive et respectueuse vis-à-vis de la sexualité et des relations sexuelles de même que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles satisfaisantes et sûres, sans contrainte, discrimination et violence. Pour que la santé sexuelle puisse être atteinte et maintenue, il est nécessaire que les droits sexuels de toutes les personnes soient respectés, protégés et qu’ils puissent être comblés. »


En Suisse, une charte « Amour, sexualité et handicap » est publiée en 2002. Elle a été pensée et rédigée (sous l’égide de Cap Loisirs) par un collectif de parents, chercheurs et professionnels confrontés aux demandes des personnes en situation de handicap en lien avec leur vie affective, intime et sexuelle. Une deuxième version a vu le jour en 2012.


La Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) a été adoptée en 2006 par l’ONU, elle est la première convention internationale spécifique aux droits des personnes handicapées. La Suisse a ratifié la CDPH en 2014, et s’est engagée à éliminer les obstacles auxquels les personnes handicapées sont confrontées, à les protéger contre les discriminations et à promouvoir leur inclusion et leur égalité dans la société. La convention inclut le droit à une sexualité autodéterminée pour les personnes handicapées, les institutions doivent créer les conditions adéquates pour permettre une sexualité aussi autodéterminée que possible.


Finalement, en 2022, une nouvelle version de la charte, nommée « Déclaration Sexualité et handicap : Considérations éthiques et cadre juridique » est rédigée pour INSOS Genève par Yves Delessert, juriste et maître d’enseignement à la Haute école de travail social de Genève et Simone Romagnoli, philosophe et éthicien, chargé de cours à la Haute école de travail social de Genève et collaborateur scientifique à la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine.

Cette charte, qui découle de la CDPH, stipule que les personnes en situation de handicap ont droit :

  • au respect de leur dignité ;
  • au respect de leur liberté personnelle, c’est-à-dire à leur autodétermination en matière de vie affective et sexuelle quels que soient leurs désirs, leurs capacités, leur orientation sexuelle ou leur genre ;
  • à la protection de leur intégrité personnelle (vulnérabilité) ;
  • au respect de leur vie privée ;
  • à recevoir des solutions concrètes pour être accompagnées de manière adéquate dans l’exercice de leur vie affective et sexuelle ;
  • à la non-discrimination en matière de vie affective et sexuelle ;
  • à rencontrer les personnes de leur choix en institution ou à domicile ;
  • à recevoir information et conseil dans les domaines de la vie affective et sexuelle ;
  • à la protection de leur santé sexuelle.

Au sein de la Fondation Foyer-Handicap, s’est créé le groupe ressource « Atout Cœur », soutenu par la direction de l’institution. Ce groupe propose une écoute, une sensibilisation et une aide aux résidents et aux collaborateurs en emploi adapté dans leurs questionnements sur leur vie affective, intime et sexuelle. Il propose également un soutien ponctuel aux différentes équipes de la Fondation.

Rencontre avec la sexo-pédagogue Catherine Agthe Diserens, qui avait été responsable de plusieurs sessions de formation « Du Cœur au Corps » à Foyer-Handicap et qui avait créé ce groupe-ressources « Atout Cœur ».

Catherine Agthe Diserens, sexo-pédagogue spécialisée

En 2023, la sexualité des personnes handicapées est-elle encore un sujet tabou ?
« Les tabous ont fortement diminué, même si l’on peut toujours faire mieux. Il reste des sujets sensibles, mais ce ne sont plus les mêmes qu’il y a 50 ans. De nos jours, la santé sexuelle est un concept de l’OMS basé sur les Droits Humains qui concernent la sexualité, que l’on soit handicapé ou non ! Les droits sexuels se sont imposés en parallèle à la juste place que la personne en situation de handicap occupe dans la société : être femme, être homme… avant que de n’être qu’une personne avec son handicap. Diminuer la force du tabou autour de la sexualité collabore de l’autodétermination et de l’inclusion ».

Ces droits sont-ils appliqués ?
« Pour que ces droits puissent être appliqués, il faut mettre en place des moyens concrets afin d’y accéder. Ils ne doivent pas rester de l’écrit et être une vitrine dans les chartes et les recommandations. C’est donc le grand travail des structures d’accueil ! En Suisse, je constate que bon nombre d’actions diversifiées et individualisées sont mises en place afin que les personnes concernées puissent accéder, au mieux, à leurs droits sexuels. Car l’idéal n’existe pas… pour personne d’ailleurs ! »

Comment voyez-vous l’avenir ?
« La Charte sur la sexualité est cosignée par toutes les institutions genevoises. La plupart des acteurs sociaux et les partis politiques vont dans le même sens et je pense qu’on ne pourra plus revenir en arrière : les acquis fondamentaux sont là. Par contre, nous pouvons toujours améliorer ces derniers à l’avenir ! L’enjeu fondamental se situe, à mon avis, dans la formation des professionnels. En effet, la sexualité est relativement peu abordée dans les formations de base de ces derniers. Il serait aussi judicieux que les personnes elles-mêmes concernées s’emparent du sujet et deviennent formatrices. Elles sont les mieux placées pour en parler. Elles en connaissent les limites et les possibles… elles sont pertinentes pour évoquer à la fois la figure sexuée et la figure handicapée.

Il faut donc avancer avec “le vent de l’inclusion”, en déclinant en plus de l’accessibilité, du financement, des programmes scolaires ou du monde du travail… également la vie affective, intime et sexuelle.

Parlez-nous de la formation que vous avez donnée au groupe « Atout Cœur » de Foyer-Handicap
J’ai été d’abord responsable de plusieurs formations « DU CŒUR AU CORPS » de niveau I, que je prodigue dans un très grand nombre d’institutions. Il s’agit d’une formation de base de 3 jours qui prépare les professionnels de l’accompagnement à devenir plus conscients et respectueux des besoins, manifestations, rythmes, demandes, attentes, etc. la vie affective, intime et sexuelle des personnes en situation de handicap.

Puis, une formation de perfectionnement de niveau II a été proposée aux personnes motivées à approfondir ces thématiques. Elles devenaient ainsi ressources, non seulement pour leurs collègues au sein de Foyer-Handicap qui rencontrent des situations parfois complexes, mais aussi pour les personnes elles-mêmes concernées par le handicap. Des consultations sont possibles auprès de ces professionnels.

J’apprécie les engagements du groupe « Atout Cœur » car il faut un certain courage pour se lancer à l’eau aussi bien auprès des collègues, que des bénéficiaires de Foyer Handicap. Cela dénote des convictions et des témérités personnelles : il faut se sentir à l’aise, les demandes adressées peuvent être sensibles, ce n’est pas tout facile. En rappel, ces personnes-ressources ne sont pas des sexologues, mais bien des professionnels de l’accompagnement au quotidien. Je trouve donc leur engagement au sein de ce groupe enthousiasmant. Par ailleurs c’est aussi assez normal, puisque Foyer-Handicap a signé la charte sexualité et handicap : « Atout Cœur » est l’un de ces moyens concrets qu’une institution doit se donner pour répondre plus concrètement aux droits sexuels”.

Quels sont ces moyens concrets ?
Par exemple…

  • Organiser des rencontres afin que les personnes en situation de handicap augmentent la possibilité de faire la découverte de nouvelles amitiés, voire plus si entente… Des hommes et des femmes seuls rêvent de trouver des partenaires amoureux.
  • Mettre en place des « slows dating » inter-institutions : il faut bénéficier de temps pour se regarder, se parler, oser se séduire…
  • Se documenter sur l’utilisation de certaines aides plus concrètes, mécaniques (joyeuses !) grâce à certains sex toys adaptés. Il en existe aujourd’hui toute une gamme.
  • Envisager une aide médicamenteuse.
  • Mettre à disposition les ressources utiles pour contacter un assistant sexuel, si souhaité.

Néanmoins et dans bon nombre de situations, un décryptage de la demande sera utile (nécessaire) afin de vérifier si entre ce que la personne concernée a imaginé de cette prestation intime et la réalité de l’assistance sexuelle… l’écart n’est pas trop grand ? Il est indispensable de ne pas provoquer une nouvelle frustration (une frustration supplémentaire !) dans la vie de la personne handicapée.

Votre conclusion
Je continue d’être totalement motivée par cette activité professionnelle si diversifiée. L’interrelation et la co-construction avec les personnes concernées (avec les personnes handicapées et/ou avec les accompagnants du quotidien, parfois avec les parents aussi) est formidablement vivante et donc… vivifiante ! L’humour est aussi souvent de la partie.

Témoignage de Celya
Il faut laisser les personnes à mobilité réduite vivre leur sexualité librement. Il faut juste du temps pour apprendre à connaître le corps de chacun. Mais avant tout, il est fondamental d’aimer et de connaître son propre corps.

Je trouve que c’est bien qu’on commence à parler de sexualité dans le monde du handicap, car ce n’est pas un sujet dont on ose parler librement. Il y a maintenant beaucoup de ressources, il y a même des coachs basés sur cette thématique qui peuvent aussi nous aider à mieux connaître ce sujet et être prêts quand on souhaite avoir des rapports.

Dès qu’une personne apprend mon handicap, elle a tendance à disparaître. C’est donc compliqué de trouver un partenaire de vie. Quand je rencontre de nouvelles personnes, déjà, ma chaise fait peur, mais quand elles apprennent mon handicap visuel, c’est ‘la chose de trop’ et elles deviennent distantes. Quand je les recontacte, elles me donnent des excuses plus ridicules les unes que les autres afin de couper tout lien.

Mais en cherchant bien, il y a quand même des gens qui arrivent à passer au-delà de la frontière du handicap, et ça, ça fait énormément plaisir et c’est très agréable. Actuellement, ça fait plusieurs années que je suis en couple avec un homme qui s’appelle Oliver et qui n’a aucun handicap quelconque, et c’est vraiment très agréable qu’on s’entende aussi bien et qu’on s’aime aussi fort. Il m’aime comme je suis, malgré ma cécité et mon handicap physique.

Pour en savoir plus

Ouvrages rédigés par Catherine Agthe Diserens

AGTHE DISERENS C. (2013) Sexualité et handicaps — Entre tout et rien… Éditions Saint-Augustin, Suisse

AGTHE DISERENS C.  VATRE F. (2023 : 3ème édition) Assistance sexuelle et handicaps : Au désir des corps, réponses sensuelles et sexuelles avec créativités. Chronique Sociale, Lyon

Liens :

Insieme Suisse https://insieme.ch/fr/

Organisation santé sexuelle Suisse https://www.sante-sexuelle.ch/

Association genevoise https://insos-geneve.ch/

Association Suisse Romande Assistance Sexuelle et Handicaps https://www.corps-solidaires.ch/

TEDxGeneva Talk (18 min)

https://www.ted.com/talks/catherine_agthe_sexualite_et_handicaps_entre_tendresse_affective_et_assistance_sexuelle

« Moi, Assistante Sexuelle » (documentaire Stefano FERRARI)