Daniela Dolci

Daniela Dolci, assistante administrative

un podcast Synergies mag

Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir Daniela Dolci-Triboux, une collaboratrice de la Fondation Foyer-Handicap.

Elle vient nous partager son quotidien en tant que personne atteinte de malentendance.

Intervenante : Daniela Dolci
Interview : Miguel M
Prise de son : Sassoun M
Montage : David V
Musique : Pixabay

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Retranscription

Miguel
Bonjour à tous, ici c’est Miguel. Aujourd’hui nous avons le plaisir d’accueillir Madame Daniela Dolci-Triboux, une collaboratrice au sein de la Fondation Foyer-Handicap. Elle vient nous partager son quotidien en tant que personne atteinte de surdité.

Bonjour Daniela !

Daniela
Bonjour !

Miguel
Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui et d’avoir accepté de raconter ton histoire, est-ce que tu pourrais te présenter et nous raconter brièvement ton parcours s’il te plaît ?

Daniela
J’ai une formation à la base d’assistante médicale, j’ai travaillé quelques années en cabinet médical et après je me suis dirigé vers l’Hôpital Cantonal.
Je travaillais en tant que secrétaire médicale, j’ai travaillé une quinzaine d’années à l’hôpital.
Je n’avais pas encore le problème de malentendance.
Donc après, j’ai arrêté de travailler quand j’ai eu mes enfants et j’ai arrêté une dizaine d’années.
Après, quand j’ai voulu reprendre le travail, ça a été compliqué parce que mon problème de malentendance a commencé à apparaître et s’est péjoré de plus en plus. Une année, j’ai été prise en charge par l’AI qui m’a placé à différents endroits. J’ai fait des stages et j’ai fait une année de chômage. Et c’est là que ça a commencé à être difficile parce que je me suis rendu compte que je ne pouvais plus faire ce que je faisais avant. J’ai entendu par hasard parler de la Fondation Foyer-Handicap et c’est là que j’ai été engagée finalement dans un emploi adapté à mon problème.

Donc depuis 2019, je suis assistante administrative aux Caroubiers.

Miguel
Donc, ta malentendance, elle est arrivée quand tu as arrêté ton travail d’assistante médicale ?

Daniela
Oui. Quand je travaillais encore à l’hôpital, j’ai commencé à avoir certains problèmes au téléphone. Déjà, ça devenait compliqué, mais ça allait encore très bien. Le problème s’est péjoré en quelques années, et c’est là que c’est apparu, à peu près avant mes 40 ans. J’ai commencé à voir des audioprothésistes qui m’ont appareillé parce que mon problème est héréditaire, en fait. C’est apparu à cet âge-là plus ou moins, et aujourd’hui c’est vrai que c’est devenu assez compliqué.

Miguel
Comment tu vis ta malentendance aujourd’hui ?

Daniela
J’ai dû m’adapter à différentes situations parce que les appareils ne corrigent pas vraiment mon problème. J’ai fait toute une réadaptation ici à l’hôpital et eux m’ont proposé en fait de faire un implant cochléaire parce que les appareils, pour mon problème de compréhension orale, ne suffisent plus. Pour l’instant, je ne suis pas prête à ça, donc je fais avec mes appareils. Mais c’est assez compliqué dans la compréhension de la parole parce que les gens ne parlent pas forcément clairement. Il y a souvent des bruits d’ambiance. C’est assez compliqué dans des environnements bruyants, donc c’est assez difficile de faire comprendre le problème aussi aux autres.

Miguel
Comment tu communiques avec ta malentendance ? Est-ce que tu lis sur les lèvres, tu fais la langue des signes ?

Daniela
J’essaye déjà de faire comprendre aux gens qu’ils doivent me parler en face, en articulant, mais ce n’est pas toujours facile. Ce n’est pas quelque chose de spontané donc c’est difficile aussi pour les gens de faire ça. J’ai appris à lire un peu sur les lèvres. Je sais qu’il existe des cours. Je n’ai pas encore décidé de faire des cours mais ce serait une chose à faire pour approfondir un peu la chose. Jusqu’à maintenant, je me suis débrouillée un peu comme ça, mais je vois bien que les appareils ne suffisent plus. C’est surtout dans des situations bruyantes ou lorsqu’on a à faire à des organismes, aller à un guichet, ça c’est compliqué. C’est difficile de comprendre, même si on dit aux gens je suis malentendante. Mais, ils ne savent pas comment agir face à ça.

Miguel
Comment tu te sens quand tu parles avec les personnes entendantes ?

Daniela
Comment je me sens ? C’est-à-dire, des fois j’évite certaines situations parce que je sais que je peux leur parler mais je ne vais pas comprendre le retour. Donc je vais éviter le plus possible des situations qui vont être gênantes pour moi ou pour l’autre. Je ne parle pas avec la langue des signes parce que bon. Je n’ai pas appris la langue des signes, mais j’ai eu un cours ici d’initiation à la langue des signes. Mais c’est vrai que dans la vie de tous les jours ça ne me sert pas parce que les gens que je connais, les entendants, ne connaissent pas la langue des signes. Je ne pourrais de toute façon pas communiquer avec eux et eux non plus. Donc je n’ai pas été plus loin dans ce parcours-là. Mais apprendre la langue des signes ce serait un plus pour moi personnellement. Mais ça ne va pas me servir dans la vie de tous les jours.

Miguel
Qu’est-ce qui est difficile pour toi, quand tu parles avec les gens en général ?

Daniela
Ce qui est difficile, même dans ma famille, avec mes proches, c’est quand il y a des échanges, quand il y a des réunions familiales ou même au travail. Je comprends pas du tout les échanges qui sont autour de moi, en fait. Il faut toujours que je fasse répéter à une seule personne ou parler avec une personne à la fois. Mais s’il y a des échanges, en groupe ou des réunions, je ne vais pas comprendre les échanges. C’est très frustrant. Je suis là sans être là. C’est comme si j’étais un peu mise à l’écart. Donc ça c’est difficile parce que je ne comprends pas et je ne peux pas participer non plus. C’est une chose qui a été difficile pour moi.

Miguel
Ton travail, il est bien adapté pour toi ?

Daniela
Il est adapté. Quand j’ai été engagée, ça allait très bien parce que j’étais dans un bureau au calme. On était deux, voire trois dans le bureau. C’était un bureau qu’on pouvait fermer, vraiment au calme. Et après une année ou deux en fin de compte, il y a eu toute une réorganisation et on a dû changer de bureau. J’étais au rez-de-chaussée et c’était un bureau un peu open space et les problèmes ont réellement commencé à ce moment-là. Ça a été très difficile pour moi parce qu’il y avait beaucoup de passage dans ce bureau, beaucoup de personnes qui entraient, qui sortaient, du bruit, des va-et-vient. Ça m’a beaucoup changé. J’ai eu beaucoup de difficultés. J’en ai parlé à différentes personnes. On a pu adapter un petit peu le bureau en mettant des paravents, des choses comme ça, mais j’étais quand même très dérangée par les bruits, donc ça a été très très difficile pour moi, pendant quelques années. Je trouvais que ce n’était plus adapté justement à mon problème. Ça a été compliqué parce qu’on n’avait pas d’autres solutions à me proposer à ce moment-là. Maintenant, on a encore changé de bureau pour d’autres raisons, réorganisation et autre. Là je suis dans un bureau de nouveau où on est deux voire trois. Un bureau que je peux fermer. Mais il y a quand même certains bruits avec l’extérieur parce qu’on est face à une vitrine. Il y a les camions qui se garent et autres donc. Mais c’est quand même mieux qu’avant. Petit à petit, ça s’est quand même un peu arrangé. Mais j’ai passé quand même quelques années compliquées. Ça se répercutait aussi beaucoup sur mon moral, ça me stressait beaucoup. J’avais des angoisses. Je n’arrivais plus à me concentrer. Alors que là, je dirais que ça va mieux.

Miguel
Est-ce que les collègues au travail et ta cheffe sont attentifs à ta malentendance ?

Daniela
Oui et non. C’est-à-dire qu’ils connaissent mon problème, mais ils ne pensent pas toujours au fait de me parler clairement et lentement. Je dois quand même souvent faire répéter. Des fois je ne comprends pas, mais je ne vais pas faire répéter parce que ça me gêne. Je laisse passer comme ça mais c’est toujours frustrant de ne pas bien comprendre. Après il y en a qui font plus d’efforts que d’autres. Mais comme je disais, ce n’est pas quelque chose qui est spontané chez la personne de parler en articulant. Après, ça dépend des voix, ce n’est pas toujours simple au quotidien. Je fais avec.

Miguel
Est-ce que tu fais partie d’un groupe de personnes sourdes ?

Daniela
Non pas du tout. En fait, ce qui est compliqué c’est que moi je ne me situe pas dans la communauté sourde et je ne suis pas non plus entendante. Je suis un peu entre deux et c’est ça qui est difficile à faire comprendre. Parce qu’une personne sourde, elle n’entend rien, elle a sa propre langue des signes. Donc ils se comprennent entre eux. Moi je ne suis pas sourde totalement puisque j’entends quand même les sons. J’entends bien les sons. J’entends parler les gens, mais je ne vais pas comprendre ce qu’ils disent. Je ne vais pas comprendre la parole, c’est ça qui est différent. Les gens ont aussi de la peine à comprendre ça. Parce que souvent on me dit, ah, mais tu es malentendante donc tu n’es pas gênée par les bruits. Mais au contraire, j’ai des appareils qui vont augmenter le volume, donc je vais entendre encore plus les bruits, les sons. Mais je ne vais pas comprendre forcément mieux les mots. Je suis entre les deux. C’est ça qui est compliqué à faire comprendre aux gens.

Miguel
Pour toi, est-ce que les entendants comprennent bien la surdité ?

Daniela
Justement, pas vraiment. En plus, moi j’ai un problème vraiment particulier. J’entends quand même comme je viens de dire les bruits, les sons. Même des fois j’entends les chuchotements. Je ne vais pas du tout comprendre ce qui se dit. Je prends toujours un exemple, c’est comme si on me parlait une langue étrangère. J’entends parler, je ne comprends rien, donc je me sens toujours mise à l’écart en fait. Et ça isole petit à petit quand même, parce que, à la longue, on va éviter beaucoup de situations qui sont pénibles.

Miguel
Pour toi, est-ce que les gens ont des idées fausses sur les sourds ?

Daniela
Les sourds, ça, je ne peux pas te dire. Mais les malentendants, en tout cas avec mon expérience, je me suis rendu compte que souvent quand je dis « je suis malentendante », on va me parler tout de suite plus fort. Parfois, ça peut aider mais pas forcément. Ce n’est pas en parlant plus fort qu’on comprend forcément mieux. C’est surtout en parlant clairement, en articulant. Effectivement je m’aide aussi en lisant sur les lèvres. Pour les entendants, c’est qu’on n’entend pas, donc ils vont parler plus fort. En tout cas pour moi, ce n’est pas forcément mieux. C’est vraiment parler clairement. Même des fois, il y a des gens qui me parlent plus doucement. Je les comprends mieux parce que c’est un débit plus doux que parler très fort. Ça va augmenter le bruit, ce n’est pas mieux malheureusement. Dans la vie de tous les jours, il y a toujours des environnements bruyants. C’est ça qui est compliqué, dans la rue, dans les restaurants, même à la cafétéria. Voilà, je vais être dans des situations où je ne vais pas comprendre ce qui se dit.

Miguel
Est-ce que la technologie t’aide ? Par exemple le téléphone, les applications ?

Daniela
Les téléphones, ça fait longtemps que j’en utilise plus, justement parce qu’avec les appareils déjà je ne comprends pas une personne qui me parle normalement. Donc au téléphone, je ne comprends pas. Il y a des technologies qui existent, mais pour l’instant je n’ai pas trouvé vraiment quelque chose qui pouvait m’aider. Chez moi, par exemple, je ne regarde la télé qu’avec les sous-titres, parce que sinon je ne peux pas suivre. Malheureusement, toutes les émissions ne sont pas sous-titrées. Mais quand même une grande partie. Ça m’aide. Tout ce qui est conférence, cinéma, théâtre, il n’y a pas vraiment de solution.

Miguel
Les lieux publics, par exemple, la gare, la mairie, ils sont bien accessibles pour toi ?

Daniela
C’est compliqué. Par exemple, la gare, ce sont des lieux bruyants par rapport aux informations. Quand je peux lire les informations, ça va. Sinon quand je dois demander des informations. Au guichet, ça reste très difficile parce que souvent il y a des vitres devant les gens où ils baissent la tête ou ils ne regardent pas en face. Donc je ne vais pas pouvoir suivre. Même les médecins, quand je leur dis. Pourtant on se dit que c’est des gens qui sont dans un milieu où ils devraient comprendre, mais souvent ils ne parlent pas clairement. Donc je dois les faire répéter. Ils ont de la peine à comprendre ce problème. Donc je dois toujours me justifier. En fait, ce qui est difficile, c’est que c’est un problème qui n’est pas visible, c’est un handicap qui n’est pas visible. Les gens au premier abord vont me parler comme à n’importe qui. Je dois à chaque fois me justifier, dire mon problème. Ça aussi c’est assez pesant. Parce qu’il faut toujours informer la personne. Et malgré ça, souvent, je ne vais pas comprendre.

Miguel
Est-ce que tu as une vie sociale en dehors de ton travail ?

Daniela
Très peu. Je fais plutôt des activités seule parce que c’est toujours difficile. Des amis, très peu. Et puis même des amis qui sont censés bien connaître mon problème ne vont pas vraiment parler clairement. Donc j’évite parce que c’est quelque chose qui me pèse en fin de compte. Tout ce qui est échange avec les autres, c’est toujours des situations pénibles parce que ça me frustre de pas bien comprendre. Donc je fais des activités seule.

Miguel
Qu’est ce qui te rend heureuse ?

Daniela
J’aime beaucoup me ressourcer dans la nature. Je fais beaucoup de marche, de la course à pied. Donc ça me fait beaucoup de bien. J’aime beaucoup la lecture, les puzzles mais c’est des activités donc que je fais seule, évidemment. C’est vrai que mon travail m’a donné beaucoup de satisfaction. C’est un lieu où je vois du monde. Je vois des situations de handicap aussi différentes et c’est vrai que ça m’aide aussi dans mon problème à moi. Ah, c’est vrai que ça m’a un peu ouverte.

Miguel
Qu’est-ce qui est dur pour toi, en général ?

Daniela
Moi j’aime bien aussi discuter avec les gens, aller vers les gens. Mais avec ce problème, je le fais de moins en moins. Donc ça, ça m’a beaucoup isolé aussi.

Miguel
Quel est le message que tu aimerais faire passer ?

Daniela
C’est une grande question. Je me rends compte aussi que quand on dit aux gens « je suis malentendante », des fois il y a un malaise qui se crée. Souvent, ils ne savent pas comment agir. On voit qu’ils sont embêtés. Je pense qu’ils essayent quand même de parler avec la personne d’une autre façon, mais c’est difficile pour l’autre de comprendre ça. Donc souvent l’échange s’arrête. C’est dommage. Mais je peux comprendre aussi que pour la personne qui est en face, c’est compliqué. Je pense que faire un petit effort, ça peut aussi aider la personne. Je voudrais dire qu’on n’est pas inaccessible. Simplement, on va communiquer différemment.

Miguel
Un immense merci à toi Daniela pour ton témoignage émouvant. Je me reconnais beaucoup dans ce que tu as raconté parce que moi aussi je suis malentendant de naissance et ça a été très difficile pour moi, surtout à l’école. J’ai fait l’école obligatoire. Parfois, il y a des profs qui savent très bien s’adapter, mais il y a d’autres profs qui ne savent pas très bien s’adapter. Je portais souvent les appareils auditifs à l’école. J’ai aussi une espèce de micro qu’on peut accrocher à la cravate. Donc j’apporte toujours ça au prof. Mais parfois il y a des profs qui ne veulent pas le porter. Du coup pour moi, c’est très difficile de suivre les cours et avec mes camarades de classe, je me sens beaucoup isolé aussi. C’est très difficile pour moi de me faire des amis aussi. Et puis heureusement pour moi, j’ai quand même rencontré des personnes qui comprennent bien ma malentendance, ils savent bien s’adapter. Et puis pour moi, le problème, comme tu l’as dit, c’est un handicap invisible, donc on ne le voit pas et on ne le remarque pas. Je pense qu’il faut prendre conscience et apprendre à faire des efforts comme tu as dit. Et puis après au niveau du travail, pour moi ça se passe généralement bien. J’ai toujours travaillé dans des emplois adaptés. Ça se passe généralement bien, je suis très content.

Daniela
Est-ce que tu pratiques la langue des signes ?

Miguel
Non j’ai toujours oralisé depuis l’enfance, ça m’intéresserait de pratiquer la langue des signes.

Merci beaucoup.

Daniela
Merci, au revoir.