À propos d’une société de surpoids : l’urgence métabolique

L'image montre une personne obèse debout sur une balance, vue d'en haut. On peut voir uniquement les pieds de la personne et son ventre proéminent, recouvert de poils. La balance affiche le mot "FAT" (gras) au lieu du poids. Le sol est carrelé de carreaux blancs, donnant l'impression que la personne est probablement dans une salle de bain. L'image semble être conçue pour souligner l'obésité de manière humoristique ou critique.

Nous vivons une urgence métabolique ! Rencontre avec le Dr Pascal Gervaz, spécialiste en chirurgie générale et digestive qui nous donne son avis sur le surpoids dans la société actuelle.

Le Dr Pascal Gervaz, chirurgien et spécialiste des maladies digestives, est l’auteur de « La société du surpoids ».

Après des études de médecine à Lausanne, il exercera sa profession en Afghanistan, à Monaco et en Écosse avant de se perfectionner à la Mayo Clinic. De retour à Genève, il devient responsable de l’Unité de chirurgie colorectale aux Hôpitaux Universitaires de Genève. Auteur de 135 articles scientifiques, membre d’une vingtaine de sociétés savantes, il se spécialise dans la prise en charge de l’obésité. Invité à donner plus de 300 conférences dans le monde entier, il est nommé Privat-Docent à la Faculté de Médecine de Genève en 2004.

« La Société du Surpoids » est le premier ouvrage d’une série d’essais visant à décrypter, pour le grand public, les nouveaux paradigmes de la médecine moderne.

Dans son ouvrage, il compare l’épidémie de l’obésité à la lutte contre le réchauffement climatique. Selon l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement économiques), notre pays compte aujourd’hui plus de huit millions et demi d’habitants et dix-sept pour cent de cette population souffre de maladies métaboliques. Nous sommes au pic d’une société industrielle qui a abusé de la production et donc de la distribution et de la consommation. Comme indiqué par le Dr Gervaz, « la génération de nos enfants vivra moins longtemps que celle de nos parents. »

Il souligne également l’arrogance de la technologie moderne produisant de hautes calories à un coût très bas et induisant de la sorte une proposition très indécente : les bénéfices se font en engraissant l’autre, au prix de sa santé et de sa destruction ; l’équation est insoluble.

L’auteur utilise divers exemples, dont le sucre, addictif déjà par la région de l’hypothalamus des souris de laboratoire, sans parler de celui de l’humain. La société a réussi à stimuler de la dopamine à gogo et les victimes ne cessent de croître. Les sols sont comparés dans le livre à des esclaves de production et la guerre métabolique a éclaté depuis la fin du XXe siècle.

Dr Pascal Gervaz, spécialiste en chirurgie générale et digestive.

Dr Pascal Gervaz

Nous allons à la rencontre du Dr Gervaz

Lorsque nous demandons au Dr Gervaz la source de son livre, il n’hésite pas à nous répondre : « L’idée d’écrire ce livre date d’une vingtaine d’années. À l’époque, je travaillais aux HUG en tant que chirurgien digestif et on a vu apparaître des maladies nouvelles : le NASH (Stéatose hépatique non alcoolique) par exemple, était une affection encore inconnue lorsque j’ai terminé mes études à la fin des années 1980. Et puis nous étions confrontés dans notre activité quotidienne à un problème : les patients que nous opérions étaient de plus en plus gros. Même quand ils avaient un poids normal, leur cavité abdominale contenait des quantités importantes de graisse viscérale, ce qui compliquait notre travail. Nous sommes en train de vivre une double transformation, climatique et physiologique. »

Les gens sont de plus en plus gros et c’est un phénomène planétaire observé depuis la fin du XXe siècle qui réduira de plus en plus l’espérance de vie de nos enfants !

Il s’agit donc d’un problème d’« environnement alimentaire devenu incompatible avec un poids normal et l’urgence climatique mute en véritable urgence métabolique. »

Si l’on a toujours emprunté l’exemple de notre génération antérieure, il semblerait que le focus d’imitation se fasse aujourd’hui sur nos propres enfants.

On assiste à une véritable épidémie de l’obésité et notre auteur n’hésite pas à établir le rapprochement avec le réchauffement climatique. Ce qui est inquiétant c’est que cette endémie touche toute la planète et particulièrement des pays comme le Mexique (15 % de diabétiques – 2/3 Mexicains souffrant de maladies métaboliques liées à l’obésité) et les USA où le taux de cette dernière est très haut. Le seul pays (hormis les pays très pauvres) qui a pu encore échapper aux tentacules des grandes multinationales est le Japon, en conservant ses traditions culinaires et culturelles ; en s’arrêtant de manger quand l’estomac est à deux tiers plein et en refusant l’apport du sucre. Dans ce pays le taux d’obésité est en effet de l’ordre de 3 % (10 fois moins qu’en Suisse et 20 fois moins qu’aux USA).

En ce qui concerne les maladies métaboliques, le Dr Gervaz observe dans son ouvrage le grand pouvoir de l’industrie agro- alimentaire sur la population. L’explosion de l’obésité n’épargne aucune catégorie autrefois préservée de ce fléau, comme les enfants par exemple. Pensez-vous qu’un écolier de dix ans chercherait délibérément à accumuler des kilos superflus ? Les pédiatres d’ailleurs sont très inquiets ; ils voient de plus en plus de cas de diabète de type 2 (celui qu’on nommait autrefois « de l’âge mûr ») chez les adolescents et même chez les enfants de 11 ans ! Par ailleurs, les personnes à mobilité réduite ne sont pas très différentes du reste de la population, mais constituent tout de même un groupe à risque de ce point de vue, ne serait-ce que parce qu’il leur est plus difficile d’aller faire leurs courses en dehors des grandes enseignes et qu’ils sont par conséquent davantage dépendants de la nourriture industrielle.

Les pays pauvres sont également exposés au risque, hormis l’Afrique subsaharienne. Dans des pays comme l’Inde où le Brésil, on voit apparaître une classe moyenne qui s’est prise de passion pour les produits transformés, symbole de modernité. On consomme énormément de boissons sucrées là où les gouvernements manquent de moyens pour fournir à la population une eau de bonne qualité. Et il est dit dans « La société du surpoids » que dans le Chiapas, la boisson du petit déjeuner est le Coca !

En réalité, nous nous confrontons avec la lutte contre l’obésité à un combat bien plus prenant que celui du tabagisme… On peut vivre sans fumer, mais on ne peut vivre sans boire ni manger et nous sommes tous les appâts des tentacules des multinationales.

Sur le point de vue politique concernant le problème de l’obésité, on assiste aujourd’hui à une véritable prise de conscience, en Europe, mais surtout en Amérique latine. Des associations de consommateurs ont déclaré la guerre aux multinationales de la malbouffe. Le combat sera long et difficile, car l’addiction au sucre est inscrite dans nos gènes. Il existe d’ailleurs une analogie avec la lutte contre le tabagisme puisque nous avons également des récepteurs au niveau du système nerveux central qui encouragent la consommation de tabac ; mais cette consommation a des inconvénients évidents et comme dit auparavant, cette consommation n’est pas nécessaire à notre existence. Le sucre, par contre, est un poison plus insidieux et plus lent…

Prévention

Quelques mesures préventives contre la malbouffe commencent déjà à être prises par certains pays, mais seront-elles suffisantes pour échapper à la pieuvre géante des multinationales et de l’obésité ?

En effet, ces mesures sont de deux sortes : l’instauration d’une taxe sur les boissons sucrées et l’interdiction de la vente aux mineurs de ce type de boissons ainsi que des aliments ultra-transformés.

On voit donc que la prévention se met en place comme pour le tabac, l’idée consistant à rendre plus difficile l’accès à ce type de marchandise, en particulier pour les personnes mineures.

Rappelons-nous que nous ne parlons pas ici de « sucre pur » issu de la canne à sucre ou de la betterave, mais de sucre reconstitué (sirop de fructose) venant de maïs à son tour reconstitué.

Lorsque nous demandons qu’elle serait la « solution » au Dr Gervaz, ce dernier nous répond qu’il ne s’agit pas dans son livre d’une volonté individuelle, mais d’un problème d’environnement pour lequel il propose une hypothèse. En effet, il va utiliser tout le long de son ouvrage des termes dans leurs sens biochimiques puisqu’ils sont aussi synonymes de « liquides ». Il est important de reconnaître que 10 % des calories que nous consommons aujourd’hui pénètrent dans nos organismes sous forme liquide. Par conséquent, la lutte contre l’obésité et le surpoids commence par se méfier par ce que l’on boit. Et d’un air bien déterminé, le Dr Gervaz affirme : « Je proposerais donc de supprimer les taxes et la TVA sur les eaux minérales, et augmenter celles sur les boissons sucrées. »

On voit en effet de plus en plus de personnes qui, fatiguées des régimes, décident de s’accepter telles qu’elles sont et d’essayer de trouver le bonheur. Elles souhaitent, et elles n’ont pas tort, s’extraire de la tyrannie de la minceur. Rappelons-nous ici de la grossophobie avec Barbie avec plus d’un milliard de poupées distribuées par Mattel dans 150 pays !

Soyons réalistes : la recherche d’un corps parfait, d’un poids normal constitue aujourd’hui, pour la plupart d’entre nous, un objectif irréalisable. Vivre avec une dizaine de kilos en trop, après tout, est-ce vraiment si grave ? En effet, la moitié des obèses environ sont en bonne santé : ils n’ont pas de diabète, pas d’hypertension, pas de NASH. Sur le plan métabolique, leur excès de poids n’a aucune conséquence, et c’est cela qui est le plus important sur le plan de la santé.

Stigmatisation

Notre auteur est par contre très préoccupé de voir le double message véhiculé par les réseaux sociaux en direction des adolescentes : on voit d’un côté une tendance à glorifier une forme de maigreur extrême. Il faut, dit-on à ces jeunes filles, être mince pour séduire. D’un autre côté, on trouve cette tendance au « bodypositivisme » avec des stars du rap aux États-Unis qui affirment : « Je suis obèse, mais j’aime mon corps. Je me trouve belle comme je suis ». Il y a là une sorte de dichotomie qui peut générer de l’anxiété, voire mener à des troubles du comportement alimentaire.

La stigmatisation de l’obésité et du surpoids est aujourd’hui punie par la loi. La question qui se pose dans « La société du surpoids » est de savoir s’il s’agit vraiment d’un progrès… À notre connaissance, les plaintes et les procédures pour ce genre de délit sont très rares. C’est d’ailleurs un constat paradoxal, mais qui doit nous inquiéter… Pour un pourcentage croissant de la population, le surpoids n’est plus un problème. On voit dans le show-business US que les héros sont de plus en plus gros.

Dans son ouvrage, le Dr Gervaz évoque par exemple l’actrice et chanteuse Lizzo qui pèse 140 kilos et qui fait néanmoins la couverture du magazine Vogue. Lorsqu’on l’interroge au sujet de son obésité, elle répond : « Vous savez, de nos jours, être gros c’est normal ! »

Toute la première partie de « La société du surpoids » est consacrée au sucre, à ses modes de fabrication et à l’addiction qu’il provoque. Le Dr Gervaz tente de nous rappeler une évidence : le sucre n’est pas nécessaire au bon fonctionnement de notre organisme. Cette substance est apparue dans notre alimentation en 1800. Auparavant, la consommation de sucre en Europe était presque nulle. En 1900, elle atteignait déjà 50 kilos par an et par habitant. Le sucre est par conséquent l’axe autour duquel tourne la stratégie commerciale des géants de l’industrie agro- alimentaire. Le goût pour les aliments sucrés est une caractéristique qu’on retrouve partout, hormis au Japon, qui fait figure d’exception et où le pourcentage d’obèses est de 3 % seulement, contre 30 % en Suisse, 60 % au Mexique et 90 % dans certaines îles de Polynésie.

Comme toutes les addictions, celle du sucre sera difficile à combattre, d’autant plus que les molécules utilisées de nos jours n’ont rien à voir avec le sucre de canne ou de betterave. Il s’agit d’un sucre artificiel, synthétisé à partir du maïs et qui se rapproche d’une sorte de sirop de fructose ; une substance qui est présente dans tous les aliments industriels, mais dont on ne parle jamais. Un sucre caché. Comment faire pour combattre un fantôme ?

Certains diététiciens ont d’ailleurs amassé des fortunes en conseillant des millions de lecteurs de bouger plus et de manger moins… Puis, il y a eu l’essor de la chirurgie bariatrique avec le by-pass et la sleeve ; cela représente près d’un million d’interventions par an dans le monde ! Et puis, plus récemment, la mise sur le marché de nouvelles molécules, conçues initialement pour traiter le diabète, mais qui ont montré une certaine efficacité pour perdre du poids. Sans vouloir citer leur nom, mais de toute façon, on en trouve plus dans les pharmacies : la demande est tellement forte que l’offre des laboratoires s’est révélée rapidement très insuffisante. Ceci nous amène à une conclusion peu rassurante : personne n’a intérêt à ce que la population mange moins. Pour l’industrie agroalimentaire, pour l’industrie pharmaceutique, pour beaucoup de médecins, l’obésité est un gagne-pain, voire un eldorado : elle peut rapporter gros !

‘(…) trinquer à la santé de l’humanité (…)’ dit « La société du surpoids » :

‘Por favor! Agua !!’

Nous remercions le Dr Pascal Gervaz pour son interview.


Titre : La Société du Surpoids
Auteur : Dr Pascal Gervaz
Date de parution : Juin 2023
Éditeur : Publication indépendante


Rencontre avec le Dr Pascal Gervaz – podcast