Un exemple d’inclusion totale : « Danse des sens »

La Haute École de Santé de Genève (HEdS-GE) s’associe au Conservatoire populaire de musique, danse et théâtre pour proposer un cours de « Danse des sens », adapté aux enfants et adolescents avec une déficience visuelle. Il a débuté à la rentrée scolaire 2022. Il est animé par Lucy Nightingale, danseuse, chorégraphe et professeure de danse au Conservatoire populaire, ainsi que par Anne-Violette Bruyneel, professeure associée à la HEdS-GE, et physiothérapeute.

Quatre élèves présentant une déficience visuelle et cinq élèves voyants ont suivi ce cours.

Rendre la danse accessible à tout un chacun
L’objectif de Lucy Nightingale est de rendre la danse accessible à tous. « Danse des sens » inclut des enfants voyants qui peuvent aider et partager ces moments avec des enfants non-voyants : « C’est vraiment important que tout le monde puisse progresser ensemble. Il n’y a pas de différences entre les élèves. Ce cours permet à de jeunes enfants de seulement 9 ans de comprendre comment on aide ses collègues et d’assimiler le monde des personnes qui ne voient pas. Ils sont passés du rôle “On est là pour aider”, à, “Non, en fait, on est là pour partager un moment ensemble”. Ces enfants ont grandi pendant cette année, grâce à ceux qui ne voient pas, c’est incroyable ! »

Collaboration entre une professeure de danse et une physiothérapeute
Anne-Violette : « La collaboration avec Lucy s’est faite naturellement. J’avais pris contact avec le Conservatoire populaire concernant mes projets sur la santé des danseurs. Lucy a participé à une formation que j’animais pour des professeurs de danse. Elle m’a parlé de ses projets avec des adultes non-voyants. Cela faisait assez longtemps que j’étais intéressée par ce public. J’ai donné des cours dans une école de physiothérapie pour personnes avec déficience visuelle. Le Conservatoire populaire avait la volonté de s’ouvrir à des publics différents.

Lucy avait très envie de travailler avec des enfants. J’avais la motivation de créer un groupe mixte qui pratique la danse avec une inclusion totale. Et c’est ainsi que, tout naturellement, ce projet s’est mis en place. C’est un cours qui respecte tous les codes de la danse. Ce n’est pas de la danse-thérapie ! Il est ouvert à tout le monde et mené par une professeure de danse. Nous co-construisons le cours. Lucy donne le cours et apporte toute son expertise de professeure de danse. J’apporte le côté expertise de recherche, de connaissance du mouvement et de sécurisation. Je réalise au cours de l’année des tests qui permettent d’évaluer les bénéfices sur le plan physique, mental et sur la satisfaction des participants. »

Un cours type
Lucy : « Les élèves non-voyants connaissent bien la salle. Ils savent où sont les fenêtres, le miroir, le piano et le mur. Ils montent et descendent l’escalier pour accéder à la salle sans aucun problème. Ils vont se changer tout seuls au bon endroit.

Nous commençons souvent par des exercices de mouvement, de positionnement dans l’espace et d’équilibre. Ensuite nous continuons par des échauffements, de la danse en binôme voyant/non-voyant et finalement par les chorégraphies que j’ai créées. Cet ordre peut changer.

Dans les autres cours, je montre toujours la chorégraphie à réaliser, ce qui n’est pas possible avec les non-voyants. J’utilise des images, des mots et je les touche. Nous nous sommes rendu compte que certains ne veulent pas être touchés, par exemple sur le dos. Ils n’aiment pas cette sensation. »

Anne-Violette : « Nous avons beaucoup travaillé le guidage par la voix. Maintenant, les élèves connaissent mieux nos vocabulaires. Souvent, un mot suffit pour se faire comprendre. Nous devons être attentifs à la qualité et la précision des ordres et des directives. Si nous ne sommes pas parfaitement claires, très vite, il y a de l’incompréhension et du découragement. »

Premier bilan
Anne-Violette : « Dans les cours, je ressens le plaisir et la communication. Je suis très touchée par certaines remarques des élèves : “Quand je danse, j’oublie tous mes problèmes”, “Je ne savais pas qu’on pouvait être heureux en étant non-voyant !”, “Au début j’avais vraiment peur, je ne savais pas comment faire, et puis là maintenant, on rigole tellement, c’est chouette !” C’est extraordinaire de voir cet épanouissement commun à travers cette rencontre du groupe et de la symbiose qui s’est créée. »

Lucy : « C’est tellement beau cette complicité qui s’est créée entre les enfants. Au début de l’année, ils ne savaient pas comment se comporter avec quelqu’un qui ne voit pas. Ils avaient peur de mal faire. Maintenant, ils sont très à l’aise. Tout se fait naturellement ! C’est génial ! »

Anne-Violette : « Ce ne sont pas toujours les enfants non-voyants qui sont guidés par les enfants voyants. Nous travaillons sur l’apport de l’un et de l’autre. Il y a des séquences où ce sont les enfants non-voyants qui vont guider. Cela apporte des choses très intéressantes à tous. C’est un autre aspect de la danse qui enrichit l’ensemble des participants sur le plan sensoriel, sur l’écoute, la communication et la liberté des mouvements.

Les enfants ont tous une déficience visuelle de naissance. Ils ne connaissent pas visuellement l’esthétique du mouvement qui est attendu en danse. C’est très intéressant dans l’exploration du mouvement que l’on peut faire. L’objectif de l’activité est d’arriver à proposer un projet qui soit totalement inclusif dans la structure du Conservatoire populaire et bénéfique pour tout le monde. La Direction du Conservatoire populaire est totalement convaincue de l’importance de l’inclusion. Le projet “Danse des sens” lancé en 2022 est amené à se poursuivre et pourquoi pas à s’ouvrir à d’autres types de handicaps et à d’autres cours. 

Lucy : “À titre personnel, je suis très fière et reconnaissante d’avoir cette possibilité de donner les cours de danse à ces enfants. Cela me donne une sorte de sens dans la vie ! Je peux ouvrir plein de portes.”

Que du positif !
Anne-Violette : “Les élèves sont évalués objectivement. J’ai utilisé des échelles en rapport avec la fatigue, la douleur et le plaisir. Mais ces échelles n’ont pas bien fonctionné. Je voulais comparer avant et après le cours, mais, pour eux, rien que le fait de penser à aller au cours de danse induit un enthousiasme total avant le cours qui augmente le plaisir. Donc, il est impossible de comparer la différence entre le ressenti avant et après l’activité. Je leur ai demandé de caractériser le cours de danse par trois mots et je n’ai trouvé aucun mot négatif. Cela montre qu’il y a vraiment une énorme satisfaction.”

Lucy : “Par exemple, un élève me dit avant le cours qu’elle n’a pas d’énergie et qu’elle n’arrivera pas à réaliser les activités. À la fin du cours, elle me dit : ‘Wow, j’ai bien fait de venir, parce que maintenant, j’ai la patate !’”

Anne-Violette : “Concernant les capacités physiques, nous observons une amélioration de l’équilibre, de la posture et de la vitesse de marche chez les élèves non-voyants. Cela démontre qu’ils sont plus actifs physiquement, et en confiance dans leur déplacement. Ils se sentent simplement mieux dans leur corps.”

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Pour conclure
Anne-Violette : “Cette activité amène une autre vision de la danse. Elle n’est plus une discipline stricte avec des codes très particuliers où il faut avoir un certain type de corps pour pouvoir être danseur. Souvent, même les enfants disent : ‘Ah, non ! Moi, je ne pourrais jamais faire de la danse, parce que je suis un peu trop gros, ou pas assez souple.’ Ils se mettent beaucoup de barrières. Notre projet permet de répondre : ‘Non ! La danse c’est pour tous !’  C’est une activité qui a la particularité d’être universelle. C’est vraiment une opportunité pour être vraiment le plus inclusif possible et surtout retrouver de la joie dans le mouvement, qu’il ne soit pas une contrainte, mais vraiment un plaisir accompagné de partage.”

Lucy et Anne-Violette : “Le projet est soutenu par le Conservatoire populaire et la Haute École de Santé qui espèrent pouvoir pérenniser le cours. Les quatre élèves non-voyants ainsi que les enfants voyants sont très motivés pour continuer.”

Mini-biographie Lucy Nightingale
Originaire du sud-ouest de l’Angleterre.
Danseuse, chorégraphe et professeure de danse au Conservatoire populaire.

Pratique tous types de danse, du classique au contemporain.

Lucy a commencé comme gymnaste parce que son père était professeur de gymnastique dans les écoles : “J’ai adoré ! J’étais une enfant qui avait beaucoup d’énergie. Vers 14 ans, quelqu’un m’a dit que je devrais commencer la danse parce que j’étais toujours très artistique quand je pratiquais la gym. J’ai donc commencé la danse à 14 ans et ne me suis jamais arrêtée. C’est une façon de m’exprimer, non pas avec des mots, mais avec mon corps.”

Hobbies
La nage dans le lac : “J’adore nager dans l’eau froide, ça me réveille et me fait vivre.”
Manger, boire, cuisiner et faire des soirées accompagnées de bon vin : “C’est ça de vivre avec les amis !”

Mini biographie Anne-Violette Bruyneel
Professeure associée à la Haute École de Santé de Genève et physiothérapeute.
“Cela fait une vingtaine d’années que je travaille sur la question de la relation entre l’art et la santé, comment est-ce que les activités culturelles et artistiques peuvent améliorer la santé des personnes et être inclusives.”
S’occupe également de la santé des artistes de haut niveau tels que danseurs, musiciens et comédiens.

Hobbies
Réalise depuis très longtemps de la sculpture sur terre.
Pratique beaucoup d’activités en pleine nature. Le ski de fond l’hiver et la randonnée avec du bivouac en été.
La cuisine avec des plantes sauvages.

Infos pratiques