A la fin de l’année 2021, l’émission de télévision française « Ça commence aujourd’hui », diffusée sur France 2, a donné la parole à des ex-détenus ayant passé une grande partie de leur vie derrière les barreaux. Je vous présente deux invités qui ont témoigné sur le plateau : Patrick, 65 ans et Jean-Michel, 68 ans.
Le basculement de Patrick dans le banditisme
Patrick a passé 24 ans en prison et 11 ans à l’isolement. A l’âge de 24 ans, il bascule dans le banditisme et braque une banque tout seul : « Je me suis dit que j’allais devenir bandit, car j’avais une idée très romanesque et romantique du milieu. Pour moi, il y avait un parrain, une famille, le code de l’honneur, la parole… Mais ce n’est pas ça du tout, c’est un mythe. J’ai vraiment fait un choix. Je n’ai pas été braqué car je voulais de l’argent. »
Une enfance dans la solitude
Elevé dans un château par des parents très stricts qu’il vouvoyait, Patrick est mis en pension chez les Jésuites à l’âge de 8 ans. Durant la première année de son internat, sa mère demande au frère supérieur comment s’est passée sa scolarité. Ce dernier répond que c’est un bon élève et qu’il s’est fait un petit copain, Gérald. Par la suite, la mère du petit garçon lui explique qu’il n’est pas à l’école pour se faire des copains et le change tous les ans d’établissement scolaire. Patrick a donc été privé d’amis d’enfance et s’est beaucoup réfugié dans les livres relatant des histoires d’amitié.
Souvent à l’isolement et déplacé régulièrement dans d’autres établissements pénitentiaires, l’ex-prisonnier n’a pas bénéficié des parloirs avec sa femme ni ses enfants : « Ça m’arrangeait bien car quand vous allez au parloir, quelque part, vous sortez de prison. Et dès que vous revenez du parloir, vous retournez en prison. Je n’avais pas à faire cet exercice, c’était beaucoup plus facile pour moi. Je n’étais pas un adepte du courrier non plus. Je me protégeais toujours. »
L’aide à l’évasion en hélicoptère
Quelques années plus tard, il réussira à s’évader de prison et reviendra chercher en hélicoptère, à la prison des Baumettes (centre pénitentiaire de Marseille), un détenu qu’il connaît à peine et auquel il a promis de l’aide s’il en avait besoin : « En vérité, je me suis inventé un ami pour aller le chercher, pour vivre l’aventure. Car en fait, c’est quelqu’un que je ne connaissais pratiquement pas. »
La libération
Après une trentaine d’années privé de sa liberté, il sort seul de l’établissement pénitentiaire : « Sortir de prison est 100 fois plus dur que d’y rentrer. Les seuls moments dans ma vie où j’ai pensé à me suicider, c’est ce jour-là. On rentre à 25 ans et on ressort à 50 ans. Quelque part, la prison c’est long. Mais en même temps, ça passe vite. Parfois vous vous retournez, ça fait 10 ans que vous êtes en prison, vous n’en revenez pas vous-même. Du jour au lendemain, vous passez de 25 ans à 50 ans. D’un coup, vous prenez dans la tête tout le temps perdu. »
Patrick est alors face à lui-même et doit se prendre en charge, s’occuper de la sécurité sociale, ouvrir un compte en banque, trouver du travail, etc. La ville a également changé, il ne reconnaît pas le chemin pour se rendre chez sa mère, tout comme il réalise que ses neveux sont devenus adultes et que ses amis de l’époque ont tout à coup pris de l’âge.
Jean-Michel, 7 ans dans les quartiers de haute sécurité
Quant à Jean-Michel, il a vécu 19 ans d’enfermement dès l’âge de 15 ans, à cause d’abord de fugues à répétition. Il passera 7 ans dans les quartiers de haute sécurité (actuellement quartier d’isolement). Il y connaîtra les traitements inhumains et les humiliations. Sa cellule, dotée d’un lit et d’une chaise scellés, ainsi que d’un bloc de béton qui sert de table, fait à peine quelques mètres. La fenêtre est obturée par des barreaux, en plus d’un plexiglas. Impossible de voir le ciel. Par ailleurs, tous les livres sont censurés.
Dans les années ’70, les conditions de détention étaient beaucoup plus rigoureuses qu’aujourd’hui et sans visibilité. C’est à partir de 1981 que le ministre de la Justice, Robert Badinter, œuvre pour humaniser les lieux privatifs de liberté. Son idée est de priver les détenus de leur liberté, sans les priver de leur dignité.
Le changement vers la sérénité
Jeune homme, Jean-Michel se décrit comme une « bombe humaine ». La haine lui a permis de résister et de survivre dans cet environnement très dur : « Dans ma jeunesse, j’ai vécu dans un monde où, malgré moi, si je voulais survivre, il fallait que je lutte. » Puis au fil du temps, il prend conscience que son humanité est en train de disparaître, comme une petite flamme qui manque d’oxygène. Il réalise que si cette bougie s’éteint, sa vie n’aura servi à rien, seulement à alimenter la police, la justice et les établissements pénitentiaires. Il réussit alors à lâcher prise. Son état intérieur change vers plus de sérénité. Les gardiens deviennent transparents et les murs presque invisibles.
La sortie de prison
A sa libération, la porte s’ouvre, il est seul. Personne ne l’attend : « Instantanément, j’ai bien compris que je quittais un univers que je haïssais depuis de nombreuses années. Enfin, quelque chose s’ouvrait. Mais une partie de moi-même est quand même restée enfermée derrière les barreaux. Car à partir d’une certaine peine, on ne quitte jamais la prison, elle reste ancrée dans la cellule humaine. »
Il réalise alors qu’il peut aller où il veut et ressent le besoin de marcher. La première odeur de parfum qu’il croise le frappe particulièrement. Il n’en a plus senti depuis 20 ans : « Ça a été un vrai choc, alors que c’est dérisoire. » Il voit aussi subitement des couleurs, des regards, des gens habillés de diverses manières. Tous ses sens qui s’étaient fossilisés durant deux décennies reviennent à la vie.
Jean-Michel se rend également compte qu’il va devoir renouer avec un tissu social positif, car comme il le dit : « La prison est un lieu où on n’est pas aimé et où on n’aime pas. » Il s’inscrit alors à diverses associations et à des clubs sportifs. Mais le plus difficile pour lui est de créer des liens avec des femmes : « Toute ma vie, j’ai vécu avec des hommes. J’ai aimé et côtoyé des femmes, mais vécu essentiellement avec des hommes, avec des références masculines et de force. »
Mon avis
« Ça commence aujourd’hui » est une émission que j’aime beaucoup et que je regarde régulièrement. J’ai choisi de relater ces deux témoignages, car je les trouve particulièrement rares et improbables. Malgré leur parcours de vie très dur, Patrick et Jean-Michel dégagent beaucoup de sérénité sur le plateau. Je les trouve très battants et très résilients à la fois.
Le saviez-vous ?
© https://www.france.tv/france-2/ca-commence-aujourd-hui/
« Ça commence aujourd’hui » est une émission de télé française diffusée sur France 2 depuis le 28 août 2017, animée par la présentatrice Faustine Bollaert. Elle paraît du lundi au vendredi à 13h55. Depuis le mois de septembre 2018, le programme de vendredi est en direct.
Faustine Bollaert accueille chaque jour, en présence d’un public et dans une ambiance chaleureuse, des invités qui désirent raconter leur histoire sur un domaine précis tel que les sentiments, l\’environnement, la famille, l’amitié ou le professionnel. Ils partagent leur expérience et l’enrichissent d’échanges avec d’autres témoins. Plusieurs experts participent également à l’émission pour donner leurs avis et des conseils.