Victime d’une grave maladie dans sa jeunesse qui l’a rendue pratiquement aveugle, Sandrine Chauvy se lance des challenges sportifs un peu fous dans le domaine de la course à pied.
Un de ses derniers exploits sportifs est d’avoir fait la mythique course Sierre-Zinal.
Voici son histoire.
Son parcours
Sandrine Chauvy est âgée aujourd’hui de 46 ans. Elle a grandi dans le canton de Vaud, puis à l’âge de 20 ans, elle s’est installée dans le canton de Neuchâtel où elle vit actuellement.
À 6 ans, suite à une allergie à un vaccin, elle est victime du syndrome de Lyell. Cette maladie auto-immune rare attaque les muqueuses du corps. Sandrine s’est retrouvée brûlée au deuxième degré sur 80 % de son corps, à l’interne comme à l’externe. Ses plus grosses séquelles sont l’atteinte de ses yeux et quelques soucis aux poumons.
« Avec mon œil droit, je suis dans le noir complet. Avec le gauche, je vois à peine des taches, c’est très flou. Je ne vois pas les obstacles. Au premier trottoir, je m’étale. C’est un brouillard permanent ».
Ses parents choisissent de la scolariser au Centre pédagogique pour élèves handicapés de la vue, à Lausanne.
Par la suite, elle se bat pour effectuer un apprentissage comme employée de commerce. Elle réalise avec succès ses 3 ans d’apprentissage, malgré qu’elle soit régulièrement hospitalisée. Elle obtient un poste à la banque, mais l’état de ses yeux se dégrade et elle est longuement hospitalisée.
« Mes responsables et mon patron ne jouaient pas le jeu. Ils ne voulaient pas comprendre que j’avais besoin de plus de temps pour réaliser mon travail. J’ai fait deux ans d’arrêt-maladie et au bout de cette période, mon employeur m’a bien fait comprendre qu’il ne voulait pas me réengager. Cela a été un gros échec dans ma vie. Je n’ai jamais réussi à retrouver un emploi et donc trouver une place dans la société en tant que professionnelle. »
Actuellement, Sandrine vit de sa rente AI et exerce une activité ponctuelle auprès de l’association pour personnes handicapées, Procap : « Je fais des sensibilisations concernant le handicap visuel, que ce soit dans des écoles, pour la protection civile ou dans différents milieux administratifs. »
Le sport
Durant son adolescence, elle suit, comme tous les élèves, les heures de gymnastique à l’école. Par contre, il ne fallait pas lui parler de course à pied.
Cependant, à l’âge de 20 ans, quand elle s’est installée à Neuchâtel, elle a eu envie de fréquenter une salle de sport. Elle a commencé par faire de l’exercice sur les machines, mais s’est vite ennuyée. Puis, elle a trouvé une autre façon de se dépenser en participant aux cours collectifs : « Il n’y avait pas forcément de structure spécifique qui accueillait des gens comme moi pour prendre des cours collectifs dans un fitness. Il a fallu que je prenne mon courage à deux mains et que je me confronte au monde des voyants et à leurs incompréhensions. »
Cependant dans chacun des fitness où elle s’est rendue, les coachs se montrent très ouverts et perçoivent sa différence plutôt comme une belle opportunité : « Ils se mettaient toujours à ma disposition pour m’aider ou donner des indications. Quand vous suivez les mêmes cours et que vous côtoyez les mêmes coachs, vous prenez vos habitudes. Vous apprenez à connaître leur façon de parler, de donner les instructions et petit à petit, les choses deviennent fluides. Je n’ai presque plus besoin d’interactions particulières avec eux. »
Sandrine estime que son « handicap » est également un très bel exercice pour les coachs, car ils doivent être très clairs dans leurs explications : « Nous sommes dans un monde visuel et, face à moi, ils sont contraints d’utiliser un langage précis afin que je puisse reproduire le mouvement. Jusqu’à maintenant, ils sont hyper motivés et ont envie de m’accueillir dans tous les types de cours. Ils remarquent que je m’adapte relativement bien et que, finalement, ce n’était pas si problématique que ça. »
La course à pied, le triathlon
En 2017, Sandrine se lance… dans la course à pied !
Son meilleur ami courait depuis longtemps déjà et ce sport commençait à lui faire envie. « Je me mettais des barrières parce que je savais que j’avais des problèmes avec les poumons et quelques soucis de genoux, suite à une opération. Avec lui, j’ai recommencé sur le bitume. J’ai tout de suite ressenti un bon feeling et une entente. »
Un jour, elle lui propose le challenge de faire un triathlon ensemble.
« J’ai pris mon courage à deux mains, j’ai contacté le responsable du triathlon de La Chaux-de-Fonds qui a trouvé mon initiative juste géniale. Il m’accueille en 2017 pour mon premier triathlon. J’ai adoré et j’ai réitéré les années suivantes avec plusieurs triathlons. C’est 500 mètres de natation, une vingtaine de kilomètres de vélo et 5 à 6 kilomètres de course à pied ».
Le trail
« Je suis consciente que c’est une discipline compliquée, parce qu’on est dans la montagne, ce n’est pas du bitume, ce sont des chemins forestiers, caillouteux avec des racines et des marches. J’aime bien les challenges et nous avons commencé à faire des entraînements en forêt. En 2018, je me suis inscrite pour la première fois au trail à Tramelan qui se déroule sur 14 kilomètres et 600 mètres de dénivelé. J’ai adoré. Depuis ce moment, j’essaie de mixer ces 2 disciplines »
Les guides
« Je ne peux pas courir seule, un guide m’est indispensable. Cet ami m’a beaucoup suivi au début sur quasi toutes les courses. Ensuite, j’ai eu envie d’en faire plus, et j’ai donc commencé à rechercher d’autres personnes qui seraient tentées de me guider. Je me suis quand même heurtée à certaines difficultés, la Suisse romande est moins bien lotie que la Suisse allemande ».
« Nous sommes côte à côte et ainsi courons à mon rythme. Il me parle et me guide. C’est la technique que j’ai trouvée et qui me convient. Je me sens en sécurité. J’ai l’impression que les informations qu’ils me donnent sont suffisantes et viennent au bon moment ».
« Les guides ont un niveau sportif plus élevé que le mien, ils doivent assumer le guidage et la distance de la course, ce qui n’est quand même pas donné à tout le monde ».
« Avec mes guides actuels, c’est un travail d’équipe. Il existe une réelle amitié, nous avons créé des liens affectifs. C’est un réel échange, il y a de la bienveillance et de la complicité ».
2022, Objectif Sierre-Zinal
« Cette année je n’ai aucun triathlon, je me suis vraiment axée sur le trail parce que j’avais cet objectif de Sierre-Zinal. J’ai commencé en début de saison, au mois de mai, “le Jura trail” qui se court du côté de Beaune, près d’Yverdon. C’était la première fois que je passais le cap des 20 kilomètres avec plus de 1000 mètres de dénivelé. Ça s’est super bien passé. J’avais deux guides pour la course qui se sont relayés. C’était agréable pour tout le monde. C’est un bel échange, on s’est super bien entendus. L’ambiance était juste extraordinaire, les gens étaient très admiratifs et encourageants ».
« Le trail suivant, Swiss Canyon Trail, a lieu en juin, chez moi, au Val-de-Travers. Il fait 30 km avec 1400 mètres de dénivelé. C’était un nouveau challenge. Il y avait une ambiance, un accueil de fou et une très bonne entente avec mes guides. À l’arrivée, l’organisateur de la course m’a serré la main et félicitée. Les autres coureurs étaient très compréhensifs »
Après 30 km et 1400 mètres de dénivelé, Sandrine a terminé le Swiss Canyon Trail.
« Au mois d’août, je me suis lancée sur Sierre-Zinal, une course mythique qui fait 31 km et plus de 2000 m de dénivelé ! C’était un petit rêve et une envie par rapport à mon entourage actuel de sportifs. Je savais que je me lançais sur un truc costaud en ne sachant pas si j’allais arriver au bout. J’ai sollicité l’Association Out’cha qui m’ont trouvé 5 guides ».
Sandrine accompagnée de son équipe de guides réussit cet incroyable challenge !
Cependant malgré l’exploit sportif, ses impressions sur cette course sont contrastées :
« J’ai été choquée, car c’est la première fois que je me suis fait insulter sur une course. Ils font partir les populaires et marcheurs entre 5 h et 6 h du matin. L’élite et les coureurs partent 5 heures après nous, soit à 11 h du matin. Bien évidemment, ils nous ont dépassés. J’ai laissé passer les meilleurs, qui gagnent leur vie avec ces compétitions. Le chronomètre est très important pour eux. Pour les autres, je me suis dit que s’ils perdaient quelques secondes, ce n’est pas la fin de leur vie. Certains ne l’ont pas entendu de cette manière et se sont mis même à nous insulter et dire que nous n’avions rien à faire ici.
J’ai été très choquée et suis même devenue agressive. Les guides m’ont dit de laisser tomber et de garder mon énergie pour arriver à terminer la course. Je les ai écoutés et je suis quand même arrivée au bout. Mais cela a gâché ma course. Je ne suis pas prête à la refaire l’année prochaine. »
Mais heureusement, Sandrine a poursuivi son incroyable saison avec une course à Zermatt où l’ambiance était bon enfant et l’accueil juste incroyable.
« Les concurrents ne voulaient pas me dépasser, il disait que nous avions un bon rythme et que cela leur permettait de se reposer un peu. »
« Le sport me permet d’exister »
« Ma vie professionnelle est un échec, je n’ai pas trouvé les bons soutiens. C’était compliqué pour moi de ne pas être insérée dans la société ou le monde professionnel. On a un handicap, on est différents, et en plus si l’on ne travaille pas on est stigmatisés. Je ne suis pas mariée et je n’ai pas eu d’enfant. Ce sont les aléas de la vie. J’avais d’autant plus ce sentiment d’échec. Chaque fois que j’allais quelque part, on mettait en avant mon problème de vue. C’est difficile dans notre société, il faut tout le temps se battre et se justifier. Avec le sport, j’ai trouvé une échappatoire où les guides me considèrent comme une personne normale. Je me sens considérée comme n’importe quelle personne ».
Le futur
« L’année prochaine, j’aimerais reprendre les triathlons et des trails. J’aime la diversité que je retrouve dans le triathlon, mais aussi en ajoutant le trail.
J’aimerais aussi faire un triathlon en catégorie olympique : 1500 m de natation, 40 km de vélo et 10 km de course à pied. Je dois travailler la natation qui est un peu mon point faible. Je dois apprendre à me tranquilliser en eau libre. Le fait de nager dans un lac est relativement stressant.
J’ai trouvé deux personnes géniales qui vont pouvoir me soutenir dans ce sens : un maître-nageur et une amie qui fait partie d’un club de natation. Ils vont m’apporter la technique et la sérénité nécessaire pour ce projet.
Avec l’association Out’cha, nous aimerions gravir un 4000 mètres. C’est le gros projet qu’on aimerait mettre en place pour l’année prochaine. »
Un conseil pour les personnes non voyantes qui aimeraient faire de la course à pied
« Lancez-vous ! Vous pouvez aussi contacter PluSport à Lausanne. Ils ont une liste des personnes qui sont prêtes à être guides pour la course à pied, comme Morat-Fribourg.
Si vous avez envie de faire du trail, il faut essayer, tenter de trouver les gens qui sont motivés à tester l’expérience. Il n’existe pas de liste. Il faut mettre de la volonté. Ça ne se fait pas tout seul ! »
Passions et hobbies
« Passer du temps avec mes amis, faire la fête, boire un bon verre de vin ou une bière.
L’équitation ! Le lien avec le cheval est assez incroyable. J’adore ces animaux depuis l’enfance. C’est une belle discipline. Ça m’apprend à canaliser un petit peu ma nervosité. Le cheval sent que l’on n’a pas toutes nos facultés. Il accepte toutes les erreurs, ce qui est juste incroyable.
L’escalade que je pratique en salle avec une amie. C’est mon petit moment de méditation. Je ne dois pas me concentrer sur ce que dit le guide comme avec la natation et la course à pied, ce qui est très épuisant au niveau mental. Avec l’escalade, c’est moi qui cherche les prises. Je dois être complètement dedans.
Le vélo en tandem et la moto comme passager.
Par contre, ce que je trouve assez pénible avec le handicap, c’est qu’on ne peut rien faire par nous-mêmes, pour toutes ces activités. Si l’on n’est pas accompagné, on ne fait rien. Et il faut vraiment avoir l’énergie pour demander. Vous avez beau avoir un entourage extraordinaire, qui connaît vos difficultés, qui sait que si vous voulez faire de la rando ou de la moto, vous ne pouvez pas y aller seul. Ils n’auront pas forcément cette spontanéité de vous le proposer. Il faut nous-mêmes prendre sur nous, un peu s’asseoir sur notre ego, puis oser demander. Mais c’est vrai que, par moment, je trouve cela épuisant. Parfois on baisse un peu les bras. »
Un message à faire passer
« Il faut rester positif. Je sais que ce n’est pas évident, on a tous des traumas et des handicaps différents, on les vit tous de manière différente, mais je pense qu’il y a toujours quelque chose de beau à en retirer. On essaie de faire évoluer les choses. Heureusement, certains comprennent et sont plus sensibles que d’autres. Ce qu’il faut se dire c’est que des cons il y en aura toujours. Il faudra toujours composer avec eux. C’est vrai que des fois c’est frustrant !
Je voulais remercier Out’cha, Pellissier Sport et Gentianes Group qui me soutienne financièrement et matériellement. »
L’association Out’cha
« Elle a été créée par trois amis qui sont des sportifs fous, de l’extrême. Ils veulent faire partager l’amour du sport pour créer du lien social entre les gens ; pas forcément des personnes en situation de handicap. Je suis la première personne en situation de handicap qu’il prenne. Ils cherchent des fonds pour aider des initiatives sportives, quelles qu’elles soient ».