Dans la peau du poisson fugu : captivant… et redouté

Par Celya
poisson fugu

Aujourd’hui, une journaliste de l’équipe de Synergies mag part au Japon à la rencontre d’une famille peu ordinaire : celle des poissons fugu, aussi appelés poissons-globes. Interview exclusive avec deux spécimens pas comme les autres.

Présentation des stars

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour, je m’appelle Toxik et ma copine s’appelle Yumi.

Je suis ravie de faire votre connaissance.
Merci d’avoir fait un si long voyage pour nous rencontrer.

Vos prénoms ont-ils une signification particulière ?
« Toxik », vous l’aurez deviné, fait référence à notre toxicité légendaire. Et Yumi est un prénom féminin japonais doux et poétique, dont la signification tourne souvent autour de la beauté, la grâce ou la gentillesse.

Je suis intriguée par votre nom de famille « Fugu ».
Il vient de la langue japonaise. « Fugu » (河豚) est composé de deux caractères :« kawa » 河 signifie rivière et « buta » 豚 signifie cochon. Donc littéralement, « fugu » signifie « cochon de rivière ».

C’est original ! Pourquoi ce nom étrange ?
Il y a plusieurs explications possibles : certains pensent que notre grognement rappelle celui d’un petit cochon. D’autres évoquent notre forme gonflée, dodue, lorsqu’on se défend. Et même si nous vivons principalement en mer, certaines espèces de fugu remontent les rivières, d’où le lien.

Portrait-robot d’un fugu

Et physiquement, comment vous décririez-vous ?
On me reconnaît au premier coup d’œil ! Je mesure en général entre 20 et 40 cm, mais certaines espèces peuvent atteindre 80 cm. Pas mal pour un poisson, non ? Je suis rondouillard et trapu, avec une forme ovale un peu bizarre, qui devient sphérique quand je me gonfle. Je n’ai pas d’écailles, mais ma peau est épaisse et parfois rugueuse, voire hérissée de petites pointes chez certaines espèces. J’ai une grosse tête, de grands yeux ronds et expressifs et un petit museau plat. Mon air mignon est un piège : je suis bien plus dangereux que je n’en ai l’air.

Ma bouche est équipée de dents fusionnées formant un bec puissant, parfait pour casser les coquilles de crustacés ou les coquillages. Ma peau est généralement marron, grise, jaunâtre ou verdâtre, souvent avec des motifs tachetés ou marbrés. Mon ventre est plus clair, parfois blanc, pour mieux me camoufler.

Quelle est votre espérance de vie ?
En milieu naturel, si je ne me fais pas manger jeune ou si je ne suis pas victime de la pollution, je peux vivre jusqu’à 10 ans, parfois un peu plus. En captivité, certains de mes amis peuvent vivre jusqu’à 15 ans. C’est le cas de Raijin, mon meilleur ami d’enfance, et sa copine Hikari. Leur prénom signifie « dieu du tonnerre » pour lui et la « lumière, la clarté et l’espoir » pour elle. Mais il faut dire que survivre dans l’océan, c’est un vrai défi au quotidien. Entre les prédateurs, les humains, et les changements climatiques, il faut être résistant… et un peu gonflé !

Chasseur discret, mais redoutable

Comment chassez-vous ?
Nous sommes des chasseurs silencieux, discrets et opportunistes. On vit près du fond marin et on guette les invertébrés, crustacés, mollusques, vers marins, algues… Nos becs puissants cassent sans problème les coquilles les plus dures.

Combien d’enfants avez-vous ?
Beaucoup ! Une femelle peut pondre plusieurs milliers d’œufs en une seule ponte. Cependant, peu de ces petits atteignent l’âge adulte ! C’est la dure loi de l’océan.

Mode de vie : calme… mais explosif

Quel est votre mode de vie ?
Je mène une vie plutôt discrète et solitaire. Je suis lent, calme et territorial. Quand je me sens menacé, je peux me gonfler en aspirant de l’eau (ou de l’air hors de l’eau) pour dissuader les prédateurs. Ce n’est pas qu’un effet de style : c’est une question de survie.

Y a-t-il des différences visibles entre le mâle et la femelle fugu ?
Extérieurement, nous nous ressemblons beaucoup, mais voici les principales différences. En général, les mâles sont légèrement plus petits que les femelles. Toutefois, c’est avec les organes reproducteurs que la différence est la plus marquée. Les femelles possèdent des ovaires où se forment des milliers d’œufs. Les mâles ont des testicules produisant le sperme qui féconde les œufs dans l’eau. Nos comportements en période de reproduction diffèrent. Le mâle fugu trace de magnifiques cercles géométriques dans le sable pour attirer la femelle, de véritables œuvres d’art sous-marines, que les scientifiques appellent des « nids de fugu ». Si la femelle est séduite, elle y pondra ses œufs, que le mâle fécondera ensuite. Ce comportement est unique et fascinant : peu de poissons sont aussi créatifs !

Donc le mâle est un artiste romantique ?
Exactement ! Je suis peut-être dangereux, mais je suis aussi sensible à la beauté, surtout quand il s’agit de trouver l’amour.

Quel est votre habitat naturel ?
Je vis principalement dans les eaux tropicales et subtropicales, surtout dans l’océan Pacifique et l’océan Indien. On me trouve souvent dans les récifs coralliens, les lagons, les estuaires ou les fonds sableux peu profonds.

Défense : gonfler, impressionner, intoxiquer

Comment réagissez-vous en cas d’attaque ?
Mon premier réflexe, c’est la défense passive. Je me gonfle comme un ballon en aspirant de l’eau ou de l’air si je suis à la surface. Cela me rend beaucoup plus gros, jusqu’à tripler de volume, donc plus difficile à avaler. C’est aussi très impressionnant visuellement, ce qui peut faire fuir l’assaillant. Mais ce n’est pas tout : je suis aussi extrêmement toxique. Ma peau, mon foie et mes organes internes contiennent de la tétrodotoxine, un poison mortel qui peut tuer un prédateur en quelques minutes. Il n’y a pas d’antidote connu. C’est un poison 1 200 fois plus puissant que le cyanure et évidemment mortel pour les humains. La mort peut intervenir dans un délai de quatre à six heures.

Notre toxine bloque ou modifie la manière dont les nerfs transmettent les signaux, entraînant une paralysie. C’est un peu comme si la nature m’avait offert un système d’alarme… et un bouclier chimique. Cependant certains prédateurs comme les requins-tigres sont insensibles à ma toxine et peuvent me manger sans danger.

Un plat de haute voltige

Vous êtes redoutés, mais paradoxalement aussi recherchés en cuisine. Pourquoi cette fascination ?
En effet, dans la cuisine japonaise, nous sommes très recherchés et renommés. Au Japon, seuls les cuisiniers disposant d’une formation très poussée sont autorisés à nous préparer. Ils doivent enlever méticuleusement notre peau, notre foie, nos intestins et nos organes reproducteurs. Nous sommes réputés pour notre texture ferme et notre goût subtil. Nous déguster est une expérience culinaire unique, souvent associée à un sentiment de privilège et de prise de risque calculée. En raison du danger que nous représentons et de notre prix élevé, nous sommes associés à un plat de prestige, consommé lors d’occasions spéciales. Notre consommation est profondément ancrée dans la culture japonaise, avec des rituels spécifiques liés à leur préparation et leur dégustation.

Mythes et légendes autour du fugu

On dit que vous êtes un poisson légendaire. Quelles histoires circulent à votre sujet ?
Ah ! Les humains aiment beaucoup raconter des histoires. Voici les plus connues :

  • La légende du samouraï prêt à mourir
    On raconte qu’autrefois, des samouraïs mangeaient du fugu exprès avant d’aller au combat. Pourquoi ? Parce qu’il fallait du courage pour affronter la mort… ou la toxine. Certains disaient que s’ils survivaient au plat, ils étaient invincibles. Un vrai test de bravoure !
  • Le cuisinier fugu qui dort mal la nuit
    Une vieille légende populaire prétend que si un chef prépare mal le fugu et empoisonne accidentellement un client, il est condamné à être hanté par l’âme du défunt. D’où l’idée que les maîtres du fugu dorment toujours avec un œil ouvert…
  • Le plat interdit des empereurs
    Pendant des siècles, le fugu était interdit dans les palais impériaux japonais. Trop risqué ! Même aujourd’hui, certains membres de la famille impériale n’ont pas le droit d’en manger. Un mets si précieux qu’il en est devenu quasi sacré.
  • Une morsure de vie et de mort
    Certains récits ou mythes populaires disent que des chefs pourraient volontairement laisser une infime quantité de poison dans le plat, insuffisante pour provoquer la mort, mais juste assez pour provoquer un léger engourdissement des lèvres.

Cela fait partie du folklore : jouer avec la limite entre la vie et la mort, comme une expérience spirituelle. Cela crée une sensation étrange, entre le plaisir et le danger.

En résumé : plus qu’un poisson, une légende

On dit que vous êtes mortel… mais aussi plein de promesses médicales. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
C’est vrai, je suis l’un des êtres vivants les plus toxiques du monde, mais la tétrodotoxine intéresse de plus en plus les scientifiques et les médecins. En effet, elle peut bloquer les signaux nerveux, notamment la douleur. Des chercheurs étudient son utilisation pour soulager des douleurs chroniques intenses, comme celles provoquées par le cancer, sans les effets secondaires des morphiniques (comme l’accoutumance).

Finalement, vous êtes plus qu’un simple poisson…
Exactement, je suis un symbole de danger maîtrisé, de raffinement extrême et parfois… de folie humaine !

Merci d’avoir répondu à mes questions !
Merci à vous pour votre intérêt ! Sayōnara !


Fugu : les secrets du poisson tueur japonais

Un documentaire captivant qui explore l’histoire, la préparation et les risques liés à la consommation du fugu au Japon.